Chapitre 10 : Paris (année 20006)
« Nat,
Je me sens plutôt jeune même presque « gamine » comparée à d’autres « femmes » de mon âge… Cependant je m’aperçois que nous sommes le dernier couple de nos amis à ne pas avoir d’enfants et surtout le nombre trente qui s’approche et un nombre rond qui appelle en tant que tel à faire le point sur les années précédentes.
Dans
mon obsession du temps qui passe, ma référence n’est pas vraiment mon âge qui
augmente mais surtout le nombre d’années passées depuis notre mariage dans ce
fol espoir d’avoir un bébé. Voilà 4ans et demi que nous avons lancé le projet
et que nous essuyons les échecs. Sans compter que si nous devons nous lancer
dans l’aventure adoption nous en aurons encore pour quelques années à attendre…
Cela me fait du bien de me dire que d’ici environ fin 2007 les traitements
toucheront à leur fin car j’éprouve l’envie de bientôt passer à autre chose.
J’étouffe dans ce climat de FIV. Mon envie de respirer ose concurrencer ma
volonté de réussir ces traitements. »
Bref, je suis dans une impasse : nous ne voulons pas entamer dès aujourd’hui le processus d’adoption. On y pense, de plus en plus mais il faut être réaliste : on n’est pas prêts, nous n’espérons plus grand-chose des fiv (pas très motivés par les prochaines tentatives) et je supporte de moins en moins bien cette absence dans notre foyer. Alors que faire ?
Ma confiance en nos chances, ma détermination dans ces traitements me manquent pour vivre correctement les prochains tec.
J’ai eu mes règles au bout d’un cycle de 40 jours ! Nous pourrions recommencer un tec en février mais nous avons décidé de partir en vacances à la neige pendant une semaine. Et le mois de Mars est compromis par un voyage scolaire en Espagne (avec 12 heures de bus aller puis retour).
Au lieu de me remotiver pour retenter ma chance avec
un tec j’ai plutôt envie de tout abandonner. Je ne ressens plus de colère comme
auparavant (quand j’avais de l’espoir frustré) mais vraiment de la tristesse. Un jour
un psy m’a expliqué que la colère était dû à un désir de changement alors que
la tristesse était liée à une perte : peut être donc que je ressentais de
la colère car j’espérais être enceinte et changer cette malédiction,
aujourd’hui je suis triste car je prends conscience que je perds petit à petit
cette chance de procréer. Je passe de la détermination à faire ces derniers
traitements à de la résignation pour ne
pas avoir de regrets.
Je crois que le moral est là même si ce n’est pas la grande fête ! Les jours filent et je me concentre sur le quotidien. Pour le reste, je fais un peu l’autruche! Je me suis simplement renseignée sur l’hôpital américain à Paris au cas où je me décide à prendre rendez-vous dans les prochains mois.
Récemment j’ai rêvé que j’avais un bébé (une petite fille) avec de magnifiques yeux noisettes, toute souriante et à laquelle je faisais plein de mimis. J’aime dormir, ma vie est souvent plus belle dans mes rêves, là tout est possible… Même au travers de ce rêve je sens que l’idée de l’adoption fait son chemin. Je suis de plus en plus convaincue d’être prête à me donner tous les moyens pour connaître un jour ce bonheur, le plus dur étant là encore la patience.
Puis, de retour chez nous après un week-end passé en famille, un grand moment d’émotion me submerge: Cédric me propose de finir nos TEC (10 embryons au CHU de Dijon) cette année et en cas d’échecs demander l’agrément en vue d’adoption début 2007 (quitte à consulter entre temps des médecins de l’hôpital américain à Paris et même de faire notre dernière FIV avec eux en attendant d’obtenir l’agrément). J’ai l’impression qu’il me demande en mariage ! Je ressens comme un soulagement, je me sens délestée… Un dénouement se profile. Je suis comblée de ce déclic, je ne m’attendais pas à un tel revirement de sa part. Et c’est dans ce contexte que je commence à préparer notre prochain TEC : je prends du lutéran en espérant rendre mon endomètre plus fin et des vitamines (dont de l’acide folique). Le traitement avance vite et l’espoir renaît, je me sens en confiance : tout est réunit pour réussir. Il me semble que toutes nos difficultés médicales à procréer ont une réponse et donc je me surprends à être très confiante dans le résultat.
C’est le printemps. Endomètre à 13mm (la normale d’après internet et de 9mm au 12e jour cependant en phase ovulatoire ce serait entre 12 et 14mm), un follicule sur chaque ovaire, la sage –femme pense que je suis peut être en train de commencer à ovuler. Le déclenchement est prévu ce soir à 18h30 par injection sous cutanée d’ovitrelle : prise au dépourvu, je rentre rapidement chez moi dès la fin des cours à 17h pour prendre dans le frigo l’ovitrelle, je cours à un rendez-vous de parents à 17h15 puis s’en suit un conseil de classe de 18h à 19h d’où je m’éclipse sans rien dire pour me faire la piqûre dans la salle d’à côté, le plus discrètement possible. La semaine est chargée, je finis tous les jours à 20h30 … Je n’ai pas l’habitude et je déteste être speedée ! Le fait d’être pressée et de tout faire dans l’action, rapidement, me donne un mauvais pressentiment. Et pourtant je n’y peux rien, la semaine se termine sur le même rythme : vendredi, jour de ma prise de sang à 7h30. Contre toute attente, le transfert n’a pas lieu samedi comme je l’avais compris en début de semaine mais le jour –même : il faut vite s’organiser avec nos employeurs à la dernière minute ! Cédric a pu m’accompagner et nous découvrons les nouveaux locaux du CHU. Je m’empresse de boire alors que les autres patientes résistent difficilement avec leur vessie pleine… Ce n’est pas le professeur S qui nous accueille mais une jeune doctoresse. Ma vessie n’est pas assez pleine, après quelques secondes d’hésitations la doctoresse ne nous renvoie pas en salle d’attente mais nous tend une écho du transfert de trois embryons sur quatre décongelés. Il nous en reste donc trois pour un dernier TEC.. Ce sont les premières FIV avec un seul embryon transféré pour les deux femmes allongées à côté de moi. Au bout des trente minutes de repos, je rejoins Cédric, le dépose au travail et je décide de passer à la pharmacie pour renouveler mon stock de vitamines et du kardégic160 bien que la sage –femme m’ai dit « la paroi utérine est bonne, pas besoin de compenser »- le lutéran que j’ai pris au cycle précédent semble avoir fait plutôt effet. Ce n’est peut être pas bon de s’auto médicaliser mais ce sont de faibles doses, ce ne peut pas me faire du mal.
Reste
plus qu’à attendre…. Je rentre à la maison il est 15h20. Prise de sang le 7
Avril..
Ces quinze jours sont encore une fois bien longs. Je
suis perturbée par ce sentiment que le résultat va être positif… Cédric est
parti en déplacement et j’hésite à faire un test … Aujourd’hui je suis
confiante et j’ai l’impression que je pourrai attendre jusqu’à la prise de
sang. Il faut que je sois patiente !
Entre temps, la sœur de Cédric nous appelle et me
demande d’être la marraine de sa fille qui devrait naître en juillet. Je suis
très touchée et je me réjouis.
Il nous reste deux jours à attendre, je me réveille à
7h30, je traîne un peu dans le lit puis je me décide à me préparer pour aller à
la pharmacie refaire le plein de estimagé et surtout acheter un test… J’ai un
doute : une tâche, serait-ce du sang ?... De retour à l’appartement,
le test est rapide et sans appel : négatif.
Encore…
Négatif : encore une claque, je me prends de nouveau notre infertilité en
plein visage.
Je
ne comprends pas : j’étais tellement confiante pour une fois, j’y croyais,
pourquoi ???? Je me sens bien dans ma tête, j’ai fait tout ce que j’ai pu
pour parer à mes différents problèmes, pourquoi ??? La fin se rapproche et
je ne vois pas ce qui pourrait nous faire réussir désormais. Sur un coup de
tête, j’appelle l’hôpital américain de Paris et je suis surprise que l’on me
propose des rendez-vous si tôt, pressée mon interlocutrice insiste pour que je
me décide : je prends rendez-vous pour dans 15 jours, Cédric sera –t-il
d’accord et libre ? Voilà ma toute dernière chance et petite chance :
un nouveau diagnostic qui pourrait m’expliquer pourquoi nous n’y arrivons pas.
Je ne comprends pas : deux fausses couches dont une à deux mois, ça veut
bien dire que ça peut marcher ! Pourquoi n’y a –t-il pas
d’amélioration ???? Trois transferts d’embryons frais et quatre de congelés
(d’où seize embryons !!! sept chances !) : je ne crois pas au
hasard ni à la malchance ! Que se passe - t - il ? Qu’avons
–nous ? On ne sait pas tout ? Nos problèmes sont encore plus
vastes ? Comment se résoudre à l’idée de ne jamais porter notre enfant ?
Je
fais les comptes : 1ère FIV ,1er TEC, 2e
TEC ça ne marche pas du premier coup, moins de chance aux TEC, ok. Le point
positif est que la production d’embryons est très bonne.
Seconde FIV avec lutéran
avant : grossesse jusqu’à deux mois, TEC : grossesse de quinze jours.
On dirait que quand mon endomètre est moins épais ça se passe mieux… Mais les
embryons sont peut être plus fragiles.
3e FIv,
endomètre épais (on n’a rien fait contre), un échec qui s’explique, les
conditions étaient les mêmes qu’à ma 1ere FIV… Mêmes résultats.
TEC :
les embryons sont de bonne qualité, j’ai pris du lutéran pour un endomètre
normal, de l’acide folique et kardégic pour éviter la fausse couche.
Echec : pourquoi ???
Nous
nous sommes un peu plus rendus compte du déséquilibre au niveau de la gestion
des FIV à la sécurité sociale entre Paris et la province : en province
c’est quatre FIV un point c’est tout, à Paris tout reste à voir. Néanmoins les
choses changent et à Paris aussi ils vont être de plus en plus limités. Je
crois qu’il ne serait pas contre de continuer les FIV avec nous (à condition
que l’on finance entièrement bien sûr !).
« C’était bien pour un contrôle ? »
« Un contrôle ?... Disons pour vérifier que c’est encore une fois négatif et que je peux donc commencer un autre traitement. »
« Ah non…Alors c’était le
premier test. il va falloir prendre rendez-vous pour des
contrôles ! »
« Pourquoi c’est positif ????! »
« Oui, madame. »
Je suis sous le choc et la laborantine n’a pas de mal
à s’en rendre compte. Je suis en pleine confusion, je ne sais plus si je viens
de la payer, je pars sans reprendre ma cart e bleue, je suis perdue ! Je
retraverse ce pont pour rejoindre Cédric avec un état d’esprit totalement
opposé à celui de tout à l’heure. Je suis euphorique. Cédric devine tout de
suite ce qu’il se passe. Mon taux de béta-HCG est haut. La prise de sang
suivante, trois jours plus tard, est un nouveau choc : le taux a
triplé ! Et si les deux embryons avaient pris ? Nous arrivons assez
vite à l’écho du premier mois. Nous apprenons alors que nous attendons des
jumeaux ou jumelles et qu’il s’agit certainement d’homozygotes, dits vrais
jumeaux. L’image de l’écho fait même apparaître trois embryons, seul un n’a pas
de rythme cardiaque. Etait-ce des triplés ? Est-ce l’acide folique qui
aurait favorisé la division d’un des deux embryons ?
Les
vacances se poursuivent et nous arrivons dans la maison familiale du Lot à
l’approche des huit semaines de grossesse. Je redoute ce cap que je n’ai encore
jamais franchi. Je ne suis pas si étonnée de découvrir une petite tâche de sang
au petit matin. Pourtant, nous y croyons encore, on espère que ce n’est qu’un
décollement du placenta comme il est arrivé à une amie quinze jours auparavant.
Nous annonçons à mes parents que je suis enceinte de moins de deux mois et
Cédric m’emmène donc aux urgences de l’hôpital de Brive où nous patientons une
heure avant d’être rassurés par une écho : il s’agit bien d’un
décollement. Je suis alitée et coincée dans le Lot. Nous ne voulons prendre
aucun risque avec un trajet trop long. Cédric prévient ses parents par
téléphone. Après 15 jours de repos forcé, je consulte à nouveau dans une
clinique de Brive afin de nous rassurer avant de faire les huit cents
kilomètres qui nous ramèneront chez nous. Le décollement est toujours présent à
l’écho, le médecin se veut rassurant mais s’y prend mal. Selon elle, si la
grossesse ne tient pas 800 km à 2 mois de grossesse, il vaut mieux qu’elle s’arrête tout de suite ! Je
suis prête à faire le légume pendant 9 mois s’il le faut ! Je rentre donc
en train et devant le même discours du gynécologue de l’hôpital lors de la
visite des 3 mois, je décide de consulter mon médecin traitant qui m’arrête
pour 2 mois. J’ai toujours des saignements et au cours d’une visite aux urgences
nous comprenons qu’il s’agit depuis le début d’un placenta praevia (situé en
bas, près du col de l’utérus). Je continue de rester alitée afin que le
placenta remonte doucement.
Loin d’être une grossesse sans rebondissement, nous
abordons le 4e mois avec le soupçon d’un syndrome transfuseur
–transfusé, appelé STT, et un risque de trisomie de 1/23. Ce syndrome ne se
produit que dans le cas des grossesses gémellaires mono-choriales
bi-amniotiques. Autrement dit lorsque les bébés sont dans des poches différentes
mais partagent le même placenta. Chaque bébé au travers de son cordon construit
un réseau sanguin dans ce placenta et dans le cas du syndrome transfuseur –
transfusé, les deux réseaux se rejoignent. Un bébé « donne » alors
son sang (transfuseur) à l’autre bébé (transfusé). Le bébé receveur peut se
fatiguer au niveau cardiaque et le bébé donneur se développe de moins en moins.
Deux des signes est une prise de poids de la mère rapide et un déséquilibre au
niveau du liquide amniotique présent dans les poches, le bébé receveur baignant
dans une grande « piscine » et le bébé donneur se retrouvant coincer
dans une poche presque vide… En l’espace d’une semaine nous choisissons les deux prénoms de nos filles. Nous voulons
que ces petites jumelles aient un prénom au cas où cela se passerait mal… Manon
bouge beaucoup dans sa grande poche, nous nous inquiétons d’avantage pour Inès.
Notre acharnement à avoir des enfants est –il la cause de ces risques
qu’encourent nos filles ?