Chapitre 9 : Et nous ? (année 2005)
Une amie va se faire
avorter. Nous étions touchés de partager une vraie discussion sur ce sujet avec
elle. Pour ma part, je trouve nos situations et choix personnels incomparables.
Son choix ne nous a pas révoltés car sa décision était mûrie. Nous voulons la soutenir,
ne pas la juger ou la
condamner. De son côté elle a ressenti l’injustice de la vie
lorsque Cédric lui avait parlé de ma fausse couche la veille de son test
positif. Nous avons parlé des symptômes que je n’avais pas enceinte alors
qu’elle les a tous. La vie est parfois mal faite.
C’est un premier
avril que Nathalie m’annonce qu’elle est enceinte. Elle a toujours cru en ce
miracle qui s’est produit le plus naturellement du monde. Je lui parlais de ma
fausse-couche quand elle est tombée enceinte, « Tomber enceinte »
drôle d’expression. Je devine le malaise qu’elle ressent vis-à-vis de
moi : il y a peu les rôles étaient inversés. Je la rassure et continue de
lui faire part de mes pensées.
D’ailleurs en ce
moment je ne suis pas en grande forme, Cédric non plus. Pour lui ce sont deux
entorses aux pieds et une contracture dans le dos. Quant à moi, j’ai des
plaques rouges qui apparaissent sur le cou et le visage. Je me mets à repenser
à ma fausse couche du mois dernier. Je l’encaisse seulement maintenant. Le
travail et un déplacement d’une semaine à l’étranger m’avait fait tourné la
page trop rapidement. Je fais une cure de magnésium et me badigeonne de
corticoïde pour venir à bout de ce psoriasis qui m’envahit la peau et fait
ressortir au grand jour mon mal être.
Il me faudra un mois
et demi pour me rétablir. Nous débutons notre dernier traitement avant la
fermeture du centre de cet été. Tout se déroule bien, Cédric me fait mes
piqûres. Ses horaires lui permettent d’être là pour me soulager de cette contrainte.
Il m’a fait deux ou trois piqûres à la dernière minute tellement nous y pensons
peu. Je ne me sens pas dans les meilleures conditions pour cette tentative, je
n’ai pas encore vraiment digéré les évènements du début de l’année. Les jours
filent et nous arrivons bien vite à la date du résultat de ma prise de sang. Je
l’ai récupéré en sortant du travail sans précipitation : 100 UI/ml j’en ai
le souffle coupé. Le résultat correspond a plus du double de ma première prise
de sang lors de ma FIV de janvier. Totalement réjouis nous partons en week-end
sans l’ombre d’une inquiétude pour la seconde prise de sang de lundi.
Ces deux jours passés
chez les parents de Cédric nous ont changé les idées. C’est reposés que nous
revenons dans notre appartement le dimanche soir. Le lendemain matin, Cédric
m’accompagne de bonne heure au laboratoire. La prise de sang effectuée, nous
prenons un petit déjeuner au salon de thé à côté comme nous en avons maintenant
l’habitude après ce genre de test. Puis nous récupérons la voiture et je dépose
Cédric à son bureau avant de rejoindre moi-même mon travail. A midi je
m’approche de la ruelle où j’avais déposé Cédric, nous avons prévu de manger
ensemble et qu’il m’informe du résultat qu’il aura récupéré par un coup de fil
au laboratoire. Cédric m’attend déjà, il est au coin de la rue, le visage
attristé. J’ai compris. 83 UI/ml : le rêve s’est encore bien vite arrêté.
Que va-t-il encore nous arriver ? Cédric est si triste. Une dernière prise
de sang donne 5 UI/ml et confirme une deuxième fausse couche, précoce celle-ci
et qui se fera naturellement telles de vilaines règles. Cédric a pris son
après-midi et m’a emmenée pique-niquer, en rentrant nous irons faire des
courses. Tout est organisé pour oublier.
« Nous n’allons
pas vous envoyer de nouvelles ordonnances en vue d’une nouvelle tentative pour
l’instant. Il faut d’abord que vous preniez rendez-vous avec le professeur dans
le but de faire le bilan de vos derniers résultats », la sage-femme que
j’ai au bout du fil me passe donc directement le secrétariat du professeur et
rendez-vous est pris pour la fin de l’été. Pour l’heure nous préparons nos
trois semaines de vacances et cette seconde fausse couche est bien vite
oubliée.
Ces quelques jours de
repos nous font le plus grand bien. J’ai encore matière à cogiter lorsque
j’entends mon frère prôner sa descendance et parler de son fils comme de
l’héritier de la famille, lui qui transmet le nom parce qu’il est un petit
garçon dans lequel coule le sang de notre lignée. Le ton humoristique de cette
allusion ne me rassure guère. Une nouvelle loi vient d’être votée où la femme
pourra également transmettre son nom, elle fera peut être évoluer les
mentalités (et compliquera la généalogie !). De passage chez nos parents,
je tombe sur des magazines féminins concernant notre sujet :
« pilule, THS… Quels sont les risques ? » et « Chéri, mon
bocal a accouché ».Le premier traite en partie de la procréation assistée
et n’est pas rassurant : risque de kystes multiples de l’ovaire,
épaississement anormal de l’endomètre, ménopause précoce, doutes sur le risque
de cancer de l’ovaire et du sein… Je passe. Le deuxième est plus caustique et
aborde les progrès et projets de la science dans le domaine des utérus
artificiels en affirmant que dans une cinquantaine d’année nous serons capable
de faire des enfants sans être enceinte grâce à une fécondation in vitro
associée à un développement de l’embryon en milieu artificiel. Dix ans en
arrière et mon expérience en PMA aurait été rapidement limitée, dix ans dans le
futur et elle aurait été certainement tout autre ! La question est
pourtant toujours la même : « et nous ? C’est pour
quand ? ».
Rentrés de nos quatre semaines de vacances, j’essaie
de me motiver pour préparer mes cours avant
la rentrée. Cédric
a
repris le travail mais difficilement ! Il a même rajouté une semaine de
congé pour retarder ce moment fatidique.
Nous
avons bien bougés pendant ces vacances, et nous retrouver chez nous, nous donne
la nostalgie…
Mais
il faut bien reprendre le quotidien.
Les
premiers jours de septembre passent et je me sens de plus en plus irritable, je
m’énerve parfois excessivement pour peu de chose. Je culpabilise d’être la plus
fragile dans notre couple et j’ai peur que Cédric s’éloigne de moi. Peut être
est-ce l’agitation hormonale de ces derniers mois ou le stress de reprendre
cette rentrée avec les mêmes échéances que l’année dernière (nouvel an avec les
amis, une fiv, un échec ? une fausse couche ?) ? Stress de la
prochaine entrevue avec le Professeur ?
Est-il bon que je ne m’ouvre à personne
d’autre que Cédric ? Mais à qui ? Je voudrais parler à quelqu’un qui
puisse me comprendre, qui ????
Je
fais des calculs : les probabilités sont de plus en plus grandes que nous
arrivions à notre but avant fin 2006 (3e voire 4e fiv…). Avant la fin de mes 30 ans ?????
Je me leurre en pensant maîtriser mon envie de vivre dans le futur, le naturel
refait surface…
J’ai
l’impression que d’ignorer nos épreuves en passant tout de suite à autre chose
n’est pas si salvateur : un jour ou l’autre il faut que je les digère. Je
vis mal de ne pas être prise par l’action d’un traitement, d’une
médicalisation, d’être en « pause ».
Nous discutons avec Cédric des prochains mois :
Si
la prochaine FIVabouti à un échec que fait-on ? Court-on encore le risque d’effets
secondaires ? Y croirons-nous encore ? Sommes –nous prêts à
poursuivre ces épreuves ? Cédric commence à se lasser. Quant à moi, je
réalise que malgré tout l’amour que l’on éprouve et les projets communs que nous avions, la vie pourrait nous
séparer si nous n’évoluons pas dans le même sens face à ce refus de la nature
de nous donner un enfant. Cédric peut évoluer vers le renoncement et moi vers
l’adoption. Soit l’un se sacrifierait soit nous nous éloignerions ou pire en
associant les deux combinaisons…. Cédric ne sait pas si notre dévouement dans
les traitements vaut son désir d’enfant. S’il en avait un, il serait heureux
mais est-il prêt à vivre tout ça encore longtemps pour vraiment en avoir un. Ne
serait-il pas de toutes les façons heureux sans enfant ? Faut-il vraiment
des enfants pour donner un sens à sa vie ? Finalement quelque part il est
peut être plus prêt que moi à être parent car il semble plus détaché et ne pas
tout rapporter à cette seule responsabilité.
Pendant
les vacances, ma sœur est allée voir une kiné- ostéopathe et m’a convaincue
d’en faire de même. Après quelques coups de téléphone je décroche un rendez
–vous avec une médecin- ostéopathe qui – selon sa secrétaire- s’occupe de
dégager le bassin pour les femmes qui suivent des traitements comme moi.
Cette
technique me laisse septique : elle n’a fait que poser ses mains sur mon
corps (ventre et diaphragme), c’est curieux. Elle pense pouvoir me libérer le
bassin qui répond bien à ses manipulations et veut me revoir pour assouplir mon
diaphragme.
« La
médecine occidentale saucissonne le corps » me dit –elle, nous sommes
d’accord !
Quant
à notre entrevue avec le Professeur S, nous n’avons aucune réelle
surprise : nous allons faire chacun un caryotype, il semble confiant en
nos chances de réussite et je vais avoir droit à une hystéroscopie (sans
anesthésie). On va sûrement faire la prochaine tentative en octobre. Le
professeur encore détendu me questionne en m’occultant : « alors
la rentrée se prépare, vous avez acheté vos petits cahiers et stylos de
couleur ? » qu’il est taquin ce docteur…
S’en
suit un week-end entre amis où nous nous sentons toujours aussi sensibles aux
vies respectives de ces derniers avec tous leurs petits bonheurs. Deux amies
parlent énormément grossesse, accouchement, en détaillant bien tout ce que l’on
peut ressentir lorsque bébé bouge, les dates préférées pour concevoir bébé
(afin d’avoir un maximum de congé). Ces paroles ont toujours autant de
résonnance pour moi, elles font échos à mon ancienne insouciance quand la vie
me le permettait encore. Lors d’un repas festif, un ami nous annonce, accroupi
près de nous, qu’il va être papa… A part ces quelques quarts d’heures pénibles,
inévitables, je suis heureuse de revoir tout le monde et je suis résolue à
passer le nouvel an entourés de ces amis dans un gîte en Bourgogne.
De
retour chez nous, nous débutons les examens médicaux qui vont s’étaler sur un
mois. Les nouvelles semblent réconfortantes : nos résultats de caryotypes
et dosages diverses ne relèvent rien d’anormal, de même pour mon hystéroscopie.
Nous commençons donc le protocole de la troisième Fiv en
octobre. Encore une fois le décapéptyl se fait en une seule prise en
intra-musculaire et m’évite beaucoup de piqûres comparé à la première
tentative. Je réussis à me faire les injections de gonal-f sans trop de
réticence. Cette année j’ai pu m’arranger avec mon employeur pour adapter mes
horaires pendant une semaine afin de pourvoir cumuler boulot et examens au CHU.
Ainsi je ne serai arrêtée que trois et non quatre semaines à compter du 14/11
(semaine prévue du transfert). Entre temps Nathalie a accouché et je suis
réellement heureuse pour elle : pour être franche cela faisait longtemps
que je ne m’étais pas réjouie ainsi d’une naissance…
Avant
même d’être en arrêt maladie, je dévore à nouveau des livres sur la procréation
et l’infertilité : « je t’attendais » de Judith Uyterlinde
finissant par l’adoption et « mieux vivre avec… une PMA » de Cendrine
Barruyer.
Le 15/11/2005
Jour
de la ponction. Je crois que ma petite salade de la veille n’était pas suffisante, il est six
heures et ce matin j’ai faim or il faut que je reste à jeun pour l’anesthésie…
il me fait drôlement envie ce jus de pomme qui est dans le frigo… Cependant je
suis en forme et je me sens très calme. Je décline la proposition des
sages-femmes de prendre de l’antharax pour me détendre, je vais bien. Ma
tension est à 10,5 au moment où l’on m’emmène au bloc à 7h40. Qu’est-ce qu’il
fait froid dans cette salle d’opération, heureusement l’équipe médical me
couvre de couvertures. Le réveil se passe tranquillement et je me sens plutôt
confortablement installée dans ce lit d’hôpital, l’oreiller est moelleux et me
fait penser au mien. On me remonte assez rapidement il est presque 10h. De
retour dans ma chambre vide, je suis bien partie pour refaire un petit somme en
attendant Cédric… Ma voisine de chambre était la deuxième ponction de la
journée, nous sommes 6 au total. Cédric sera revenu avant elle.
J’ai
faim ! La sage femme décide de nous faire mettre debout avant de nous
donner à manger : je serai capable de danser s’il fallait pour avoir droit
à mon plateau repas ! Je ne sais pas si c’est l’ostéopathie qui m’aide
mais je me sens plutôt bien. Même pas mal ! Impatiente d’avoir mon plat
chaud je bois d’un trait un bloc de jus de pomme que Cédric m’a apporté (il est
très attentif à mes désirs, j’l’adore celui-là !). Puis - enfin !- le
plateau arrive avec un steak haché, de la purée, une compote, un petit fromage,
du pain et en entrée une macédoine. J’engloutis la macédoine mais à peine les
trois premières bouchées de steak et purée avalée, je me sens mal…
« Madame, gardez les yeux ouverts ! »… Trop tard, je suis raide,
ailleurs, les yeux pourtant bien ouverts, livide. Cédric a pâli aussi.
Je
reviens à moi, tendue, je cache mon visage dans mes mains, ça y est c’est
passé, un petit évanouissement de rien du tout… Les sages-femmes en ont
l’habitude, aujourd’hui nous sommes trois sur six à être fébriles. On me remet
une perfusion (des macromolécules d’après ce que j’entends…). Maintenant j’ai
la nausée et je ne me sens bien que couchée. Mon ventre a été lesté de 5kg de
plomb et j’ai l’impression qu’il est tout contracté, je n’ose le bouger. Ma
voisine récupère plus vite que moi, comme toujours ! Cette fois j’ai fait
mon show, ma forte, mais il a fallu que je me ramasse tout d’un coup et
maintenant je me sens diminuée, fatiguée et vaseuse. Je tente de prendre la
position debout par étape, très lentement… en fait pendant deux heures… Enfin,
je peux aller au cabinet de toilettes me rhabiller. Je marche courbée comme une
mamie de 80 ans (dixit ma joyeuse sage-femme). Vient le moment des
résultats : 14 follicules ponctionnés dont 11 ovocytes mûrs et 11
injectés. 11 !!!! waouh !!! 11 !!! Environ 5 transferts ?
Nous en aurions pour un an pour donner leur chance à tous ! « Vous
avez bien travaillé Madame » conclut la sage-femme. En tête
à tête dans la chambre pour reprendre toutes nos affaires Cédric me rappelle
que lui aussi a bien travaillé, avec ses magazines dans la pièce d’à
côté ! Non sans avec un sourire en coin : 11 spermatozoïdes viennent
de lui !
Le 16/11/2005
Mes
remplaçants me donnent des nouvelles à peu près tous les jours. Ils ont l’air
de suivre mes consignes et conseils : ça me rassure.
Je
me sens nettement mieux, je n’ai plus trop de grosses douleurs au ventre. La
glace fait son effet. Cédric a néanmoins annulé son déplacement à Paris pour
venir manger avec moi ce midi, mon malaise d’hier l’a inquiété.
Le 17/11/2005
Jour
du transfert.
Le
téléphone a sonné à 8h30, encore endormi Cédric a répondu : nous avons RV
au CHU à 11h45 avec vessie pleine pour moi et sandwichs pour tous les deux au
cas où l’attente soit longue. Nous ne savons toujours pas combien d’embryons
nous avons à ce jour. Je ne me presse pas de boire ma bouteille puisque le
Professeur S nous fait toujours attendre. Les 6 femmes de la ponction de mardi
sont là.
On
a le temps d’enregistré les chiffres affichés dans la salle d’attente :
(cela
ressemble à des statistiques nationales…)
FIV
ICSI |
Ponction |
Transfert |
Grossesse |
23,1% |
26,3% |
Accouchement |
17,9% |
20,3% |
TEC |
Transfert |
Grossesse |
14,4% |
accouchement |
10,6% |
Au
bout d’une heure, une sage –femme m’appelle. Nous pensions être dirigés vers
une chambre afin de poursuivre cette attente bien installés… Mais elle nous
emmène dans la salle d’écho où le Professeur nous attend. Aujourd’hui ils sont
à l’heure et que deux. Les choses ont changé depuis notre dernier transfert. Ne
sachant toujours pas combien d’embryons nous avons, le Professeur nous dit
« il va falloir que l’on décide de ce que l’on va faire. Souhaitez-vous
désormais prendre plus de risques et tenter trois embryons ou restons-nous à
deux? ». Je suis étonnée qu’il nous propose cela… face à notre surprise il
explique « vous en êtes à votre avant –dernière tentative, on peut
considérer que vous êtes jeunes et en rester à deux, la question se posera
vraiment à votre quatrième et dernière FIV… C’est à vous de voir ». Mon
cœur fait un bon, moi si bien jusqu’à présent je commence à stresser : « Je
croyais que les lois avaient changé et que nous n’étions pas limités en nombre
de tentatives ????!!! » « Ils sont revenus là-dessus, de toutes
les façons cela ne change rien pour nous, si au bout de quatre FIV vous n’êtes
pas enceinte… »… « Effectivement ce renseignement peut changer notre
décision » « si vous voulez, vous pouvez réfléchir quelques minutes, nous
allons appeler une autre femme avant vous ? » « Oui, pas de
décision trop hâtive » « alors à la semaine prochaine ! »
termine –t-il cet échange par une note d’humour dont il a le secret…. Nous
voilà dans un petit bureau et il faut se décider vite.
Trois
ça me paraît trop, on n’en profitera pas : c’est trop !
Et
on prend le risque de faire des prématurés… Ce qui est vite un argument
abandonné puisque l’on fait confiance à l’équipe médicale qui nous propose de
prendre le risque.
D’un
autre côté, le risque est augmenté certes mais quand même faible, non ? Et
par contre nos chances de succès augmentent, et cela fait un embryon frais de
plus à qui l’on donne sa chance plutôt que de le congeler et de prendre le
risque de l’affaiblir.
Cédric
a moins de doute : « il faut qu’on se lance je crois même que je
serai heureux et non paniqué d’avoir des triplés ».
Dernier
argument : il faut que ça marche car c’est notre avant dernière tentative,
on ne peut pas se permettre de ne pas saisir toutes les chances de
réussite : d’autant que nous sommes tous les deux conscients de notre
divergence, en cas d’échec, du choix à faire entre adoption ou renoncement.
La
décision est prise : on fonce !
Nous n’avons patienté que trente minutes avant de
pouvoir repartir. Je n’ai pas ressenti ce petit « bon pressentiment »
comme lors de notre deuxième FIV. Je chasse vite cette constatation de mon
esprit et n’en parle surtout pas à Cédric. Nous passons le temps en mangeant et
tentons de calmer notre excitation de ces dernières minutes en l’évacuant par
la parole.
Je
ne décolle pas de cette position allongée tant que je peux pendant les quatre
jours à venir…
Et
pendant ces quatre jours, je ne m’ennuie pas… Par contre mes nuits deviennent
difficiles : dès que je suis allongée dans le noir, prête à dormir, je me
stresse toute seule. Le fait d’avoir une limite qui m’est imposée (4
tentatives), que nous ne décidons pas nous-mêmes de quand l’on veut abandonner,
m’angoisse. Surtout que derrière, aucune solution ne s’offre vraiment à nous,
au contraire beaucoup de questions douloureuses devront être soulevées… Cédric
ne semble toujours pas prêt à entendre parler adoption et je me sens déjà
écartelée entre lui et mon désir de devenir maman. Finalement j’ai plus peur de
ce qui nous attend en cas d’échec que l’échec lui-même. Je me sentirais
tellement mieux si nous étions tous les deux prêts à envisager l’adoption, là
la situation est une pression supplémentaire que je n’avais pas lors de nos
précédentes tentatives. Je suis morte de trouille… L’émotion me gagne. Cédric
me rassure et me dit de lui laisser le temps quand il faudra envisager d’autre
solution il le fera. Je perds de l’objectivité, je sens combien le stress monte
et je m’en veux de m’emballer ainsi.
Au
bout d’une semaine mon état semble stagner. Je me sens bien mais ce
durcissement au niveau du bas du ventre est toujours présent et sensible au
toucher. Je viens de finir un livre polar « naissance sur
ordonnance » de Robin Cook dont l’énigme repose sur un contexte de FIV. Le
début du récit est long mais à l’avantage de détailler les scènes sur les
examens médicaux que j’ai moi-aussi subis.
Mes
deux jours « angoissée » sont plutôt passés même si j’ai parfois
encore de brève suée en pensant aux grossesses extra utérine qui pourraient
survenir et empirer notre situation. Ces peurs sont engendrées par les quelques
brèves douleurs que je ressens du côté gauche : des pics me surprennent et
me tiraillent un peu le ventre comme pour me rappeler que rien n’est gagné même
si le résultat de la prise de sang peut être positif.
Le 28/11/2005
Le
réveil a sonné à 6h30, on est lundi 28 Novembre 2005. Je me lève avant Cédric
pour aller à la salle de bain, sans allumer la lumière, je devine le désastre
de cette journée. Je saigne. Tout s’écroule à nouveau : Cédric me prend un
long moment dans ses bras. Je l’aide à se préparer avant qu’il ne parte pour
cette journée de travail. Nous avons peur de ne pas y arriver, de croire que
nous sommes faits pour ne pas y arriver. La vie nous refuse ce bonheur que nous
nous acharnons à tenter. Nous avons mal, nous souffrons intérieurement et cette
douleur ne veut nous quitter : comment lui dire au revoir, comment l’accepter,
comment renoncer à cet enfant biologique. Je me raccroche aux bras de Cédric où
je me sens si bien, je sens que je perds pieds. Je sens que quelque chose de
terrible se produit. J’ai une semaine pour m’en remettre et reprendre ma vie
normale : mon boulot, nos plaisirs simples, nos espoirs qui se résument en
quelques TEC (je pense à nos embryons congelés)… Je pense à cette image d’une
petite fille de 2 voire 3 ans, belle mais comme irréelle. Est –ce le moment de
faire ce deuil de la grossesse ? L’idée de retrouver mes trois collègues
au ventre rond et toutes celles que je vais encore croiser me dis que non, ce
n’est pas possible, la logique voudrait que nous y arrivions nous aussi… Mon
cœur ose me dire que je peux être maman autrement : il faut que j’accepte cette
situation. J’ai chaud, je me sens engourdie. Je crois qu’il faut que je mange quelque chose, n’importe
quoi. Puis je prendrai un bain pour me détendre et penser à ce qui va suivre.
Avant de partir Cédric m’a dit « quand tu
pleureras aujourd’hui, penses à moi, rappelle –toi que je t’aime ». Il a
raison, c’est fou, ça me calme autant que quand je suis dans ses bras.
« Tu es forte ma Nanou » : oui, j’y crois, je sais que je vais
passer ce cap et l’aider à en faire autant. Encore une ironie : le seul livre
que je ne vais pas finir et le « marabout de la femme enceinte » que
j’ai stoppé net lors de ma première – et seule que je retiens- fausse couche.
Quoique, j’ai bien envie de le lire maintenant ou quand j’attendrais cet enfant
d’où qu’il vienne. Il neige fort, mon velux se remplit, je suis enterrée sous
un tas de neige. Ce n’est qu’un deuil, la vie est là. Je pense à mon père qui
est en Ukraine, je voudrais adopter cette petite fille ukrainienne que je vois.
Papa
m’a envoyé un mail et en lui répondant je lui ai parlé de notre échec :
« Ce matin, ça ne va pas très bien ... Nous venons d'avoir un nouvel échec pour notre 3e FIV. Cette fois on
avait pris le risque d'un transfert à 3
embryons (le CHU nous l'a proposé étant donné que la 4e FIV sera la dernière puisque l'on est limité à
4). J'ai encore une semaine d'arrêt pour
encaisser avant de reprendre le travail pendant 5 jours.
Bisous
à toi.
Anne »
Puis
j’ai appelé maman 50 minutes : elle m’a dit avoir les bras coupés bien
qu’elle s’habitue à notre situation. Cette fois elle n’a pas essayé de me
réconforter à tout prix, avec des mots pris au dépourvu. Elle a été naturelle,
pleine d’émotion et de compassion, juste et posée. Elle m’a apporté tout ce que
j’attendais : du réconfort, vrai et sincère sans superflu.
« pupuce
rappelle toi discussion : un enfant pour lui pas pour toi... »
Ce n'est pas le deuil de l'enfant que nous sommes en
train de faire (les choses se décantent
et continueront à se décanter concernant l'adoption, je suis optimiste là-dessus) mais nous devons
commencer à faire le deuil d'une grossesse, d'une vie dans mon ventre. Ce deuil -là n'est pas la pire
chose que l'on peut vivre... J'arrive à le relativiser mais il n'est pas pour autant fait....
De
même, dès le lendemain Cédric profite d’un appel de ses parents pour trouver du
réconfort auprès d’eux. Nos parents sont les premiers – et les seuls pour
commencer – avec lesquels nous voulons partager ces évènements et non seulement
les en informer.
Je
viens de me rappeler un vieux souvenir : j’avais 11 ans moins 2 mois, je
me suis réveillée avec des saignements comme ce matin sauf que ce jour –là
j’étais très heureuse. J’avais mes règles : je devenais une jeune fille et
j’étais très fière de moi, j’ai accouru vers ma mère la tête haute. J’ai
toujours voulu des enfants et être enceinte. J’en voulais 4 et un mari brun aux
yeux bleus. J’ai la nostalgie de cette insouciance enfantine où tous les rêves
sont permis. Que dirais-je à la petite fille que j’étais si je l’avais devant
moi ?
Combien
de temps faut-il pour franchir ce cap du renoncement ? Nous savons que du
côté de Cédric, sœur et belle-sœur essaie d’avoir un deuxième enfant. J’en
reviens au regard des autres et au regard que je leurs porte. Un regard d’envie
et même de jalousie : ces femmes enceintes ou qui peuvent se réjouir de
bientôt l’être sont un miroir de ce que j’aurais voulu vivre, ce miroir est
néfaste, vil. Je déteste autant que Cédric ces précautions que l’on prend avec
nous pour nous annoncer une grossesse, notre fierté est ainsi blessée :
nous n’avons pas le droit de mal réagir puisque toutes précautions ont été
prises. Je n’aime pas pour autant les annonces brutales mais elles ont pour
mérite de nous laisser nous emporter –intérieurement j’entends- sans
culpabiliser. Nous ne sommes pas dupes de nos sentiments, notre manque de
compassion et de générosité dans ces moments-là, cependant nous l’assumons mal
et refusons de le percevoir dans les regards plein de pitié pour nous. Nous
voulons donner le change et qu’on nous laisse avec notre souffrance qui n’a pas
sa place dans ces instants si délicats.
Comment
faire ce deuil ? Est-il possible de l’amorcer alors que nous avons encore
des transferts d’embryons congelés de prévu ? L’espoir s’est nettement
affaibli mais existe encore. Pour ma première et troisième FIV, mon endomètre
était qualifié d’épais voire de très épais mais en revanche les embryons ont
été produits en nombre (respectivement six et dix) et a priori doté d’une bonne
qualité. Lors de notre deuxième FIV qui avait abouti à deux fausses couches, le
professeur S m’avait prescrit du lutéran afin de réduire l’épaisseur de mon
endomètre néanmoins il nous avait évoqué le risque de diminuer également la
qualité des ovocytes. Ce détail m’interpelle : serait-il simpliste de penser
que ce médicament est à l’origine de l’implantation des embryons lors de
cette deuxième fiv et même du TEC qui a
suivi ? Et peut-on supposer que le
Lutéran aurait été également la cause d’une potentielle défaillance de ces
mêmes embryons qui ont été d’ailleurs produits en plus faible quantité
(quatre) ? Cette comparaison de mes résultats lors de ces trois FIV (donc
deux sans lutéran et une avec un traitement initial au lutéran) , m’amènerait à
croire qu’un nouveau traitement avec du lutéran me permettrait de réobtenir une
épaisseur d’endomètre correcte pour favoriser l’implantation des embryons
congelés issus de cette troisième FIV et qui sont a priori de bonne qualité.
Manifestement, je ne suis pas encore prête à abandonner, pourtant ne
faudrait-il pas que je commence à me faire une raison ?
Je ne sais plus quoi faire ou penser
pour avoir toutes nos chances : adapter les traitements et me confronter à
mes peurs, sources d’un éventuel blocage psychologique, sont mes seules
alternatives pour ne pas me sentir impuissante. Une conversation avec ma sœur
me relance dans cette quête d’explications : ai-je évolué quant à la
nature de mon désir d’enfant ? Est-il à présent bienfondé ? Un enfant
pour lui et non pour ma fierté ?
Je fonctionne en binaire : je
suis soit en position 0 – où je ne crois plus en rien- soit en position 1 –très optimiste sur nos
chances de réussite. Je ne connais pas
la demi-mesure. J
’espère
que ce « masochisme » intellectuel portera ces fruits… J’accepte de
souffrir dans mon corps ainsi que dans ma tête et j’en rajoute ! Mais
jusqu’à quand ?... Je ne nous sens pas dépressifs, nous sommes heureux
ensemble dans notre vie de couple mais il nous manque quelque chose pour être
heureux dans notre vie quotidienne. Cédric évoque l’idée de profiter un peu
plus de notre vie à deux : que faire de plus ? Suis-je capable d’être
moins regardante sur le temps qui passe ?