Chapitre 7 : Trois scénarii
Comment se finira notre quête ? Nous avançons
dans notre parcours médical. Le chemin me semble plus facile à suivre. Nous
avons nos repères et l’affolement du début fait place à la patience raisonnée
que la vie nous impose. Un couple fertile a généralement une chance d’aboutir à
une grossesse en environ quatre mois ; pour nous, les quatre tentatives
nous prennent au moins un an. Le temps a une autre dimension. Je me rends
compte de la chance que mon travail m’a offert de pouvoir suivre ces
traitements sans devoir l’abandonner ou tout-au-moins prendre un mi-temps. Nous
relativisons nos souffrances. Nous osons enfin élaborer des projets :
partir dans les DOM-TOM trois ans, ouvrir des chambres d’hôtes, etc. …. Et nos
relations sociales sont plus sereines. Nous ne sommes toujours pas à l’abri de
quelques réflexions… Cela nous fait des anecdotes… Nous le prenons avec
pragmatisme cependant nous sommes toujours surpris quand cela arrive. La
dernière en date vient d’une femme de plus de quatre-vingts ans : «qu’est
ce qu’il est beau cet enfant ! Et vous c’est pour quand ?
Oh ! Vous êtes encore jeunes… … … Mais si vous n’arriviez pas à en avoir,
est ce que vous seriez prêts à adopter ? » demande-t-elle avec un
mime de dégoût… avant de rajouter : « Enfin je dis cela, mais je
connais quelqu’un qui a adopté deux petites filles tout à fait charmantes,
comme quoi ! ». Cédric abasourdi, n’a pas dit un mot de tout le long…
J’imagine trois fins possibles à
cette aventure. La première est la plus évidente et la plus souhaitée : être
rapidement enceinte. Dans ce cas là, tout semble évident : les trois
premiers mois passés, la crainte d’une fausse couche et d’une grossesse extra
utérine écartée (les risques sont statistiquement plus grand en FIV), le
bonheur sera total. Je n’aurai pas peur d’étouffer cet enfant tant désiré, de
trop lui donner.... Nous connaîtrons notre chance mais nous oublierons les
épreuves passées qui pourraient amener à ce genre de comportement.
La deuxième serait l’adoption, après
un deuil de
la grossesse. Ce
qui est déjà un début difficile. Ma sœur m’a
dit un jour, lorsque nous n’avions pas encore découvert mon endométriose :
« pourquoi tu ne fais pas appel à un donneur. Moi, à ta place, ça ne me
gênerait pas. Si cela peut te permettre des traitements moins lourds.» Les
traitements seraient aussi lourds, la question n’est pas là. A la grossesse
s’ajoute le mélange de nos sangs. L’adoption nécessite une renonciation à un
enfant biologique dans lequel nous nous reconnaîtrons… Je recommence à lire,
cette fois sur ce sujet. Cédric n’a pas la même façon de vivre tout cela mais
nous réussissons encore à l’accepter sans nous angoisser mutuellement. Alors je bouquine et je mûris
mon point de vue sur l’adoption : je suis parfois tentée de me dire qu’adopter
serait la solution. Je
Enfin la dernière fin
possible serait le renoncement à toute descendance. J’aurais fait tout ce que
je pouvais pour avoir cet enfant : s’il me faut quatre FIV (nombre
initialement prévu par la sécurité sociale) j’irai au bout de ces protocoles
même s’il faut que je violente mon corps qui se dégoûte de tous ces
traitements. L’échec en incombera totalement à la nature qui n’aurait, dans ce
cas, pas cédé. Nous avons des amis qui ne veulent pas d’enfants (et ils le
présente comme une décision relativement ferme). Je suis intriguée par ce choix,
tout en le respectant, et j’en suis « curieuse ». Je crois que
quelque part ça me rassure de me dire que l’on peut y trouver un certain
bonheur même si j’ai du mal à considérer longtemps cette option.
Que nous réserve la
vie ? Cette expérience me fait redécouvrir tout ce que j’ai. Pour rien au
monde je donnerais ma place. Nous sommes deux et c’est déjà beaucoup. Je
souhaite faire un maximum de tentatives pendant encore deux, voire trois ans,
avant de faire le deuil d’un enfant biologique. Cette échéance m’aide à
garder courage. Pour l’instant seul l’enchaînement des traitements pourrait
changer notre situation. Ensuite nous pourrons nous tourner vers un nouveau
combat si rien n’y fait : celui de l’adoption. La question est de savoir
si nous serons assez forts pour endurer toutes ces déceptions : bien que
ce ne soit pas la volonté qui nous manque, le moral suivra-t-il suffisamment ?
Ne serons-nous pas trop abîmés par ce long combat et cette patience
imposée qui est éreintante ? Serons-nous prêts à nous tourner
véritablement vers l’adoption ?
Contrairement à
l’enthousiasme que j’éprouvais pour entamer notre première FIV, aujourd’hui
j’ai peur, peur d’y croire, la chute fait mal. Peur d’échouer par manque de
confiance et de foi. Peur de souffrir de mon impatience et de mal vivre cette
attente quotidienne : voilà le fond de mon angoisse.
Nous avons besoin de
repousser le prochain traitement de notre propre initiative afin de reprendre
courage et espoir. Cette période de flottement n’est pas très gaie. Nous
n’avons pas le moral. Cédric m’avoue se lasser de devoir me porter alors que
lui-même ne va pas bien. J’ai l’impression d’être un poids énorme, seule et
loin de lui. Mon mariage est le plus important et je ne veux pas le sacrifier
dans cette histoire. Nos difficultés sont source de stress pour Cédric sans
oublier les trajets professionnels (trois heures trente minutes aller-retour
par jour, et sa mutation se fait attendre) qui le fatiguent. Dans un deuxième
temps, me voir malheureuse l’affecte beaucoup. Il se sent délaissé dans sa
peine, je ne fais pas assez attention à lui et souhaite que je m’oublie
davantage pour être plus à son écoute. Je crois qu’il pense faire d’énormes
efforts pour moi et voudrait s’assurer que je peux faire la même chose pour
lui. Je suis peinée de constater que je l’ai déçue et qu’il se lasse d’être un
soutien. C’est parfois difficile de deviner ce que l’autre veut exactement.
Notre discussion nous permet de prendre du recul et nous rendre –compte que
nous sommes souvent très exigeants avec l’autre sous certains aspects d’autant
que nous représentons l’un pour l’autre la seule épaule sur laquelle nous nous
reposons dans cette épreuve. Cédric ne souffre pas du manque d’enfant en tant
que tel mais en tant que rôle social de parents qu’il engendre. Nous souffrons
d’être différents, de ne pas pouvoir nous réjouir et voir notre famille se
réjouir pour nous d’une naissance, de ne pas pouvoir partager avec notre
entourage ces petits moments de bonheur et de discussion autour du rôle de
parent, des ressemblances etc. … Et même si Cédric, comme beaucoup d’hommes,
n’exprime pas avec des mots clairement sa douleur, il s’autorise d’avantage
désormais à me la montrer par son air mélancolique. C’est en même temps de la
tristesse et une grande lassitude qui nous animent : nous avons besoin de
changement ! Et de réconfort… Cédric ne supporte plus très bien non plus
les cérémonies de mariages ou les réunions de famille ou d’amis où l’on parle
bébé, où l’on se souhaite plein de bonnes choses (nouvel an, noël) et où le
bonheur des autres nous éclabousse, ce qui nous renferme dans notre peine
depuis trois ans. Je crois que j’en suis au même stade. J’ai pu le rassurer
comme si rien ne m’atteignait. Tout me glisse dessus, j’en ai tellement marre
que je ne percute même plus.
Nous remettons tout
en question. Après notre soutien et notre façon de vivre les choses, nous
sommes amenés à nous interroger sur le CHU lors d’une consultation chez une
généraliste. Dans la nécessité d’obtenir un certificat médical en vue d’une
inscription à un club de sport, le médecin me demande si je suis sous pilule et
nous venons en effet à parler de notre FIV ICSI. Elle se montre sceptique sur
l’hôpital de Dijon et me conseille d’emblée de changer de centre… Selon elle,
le centre ne veut pas communiquer ses résultats dans ce domaine et puisque nous
avons échoué une tentative complète avec eux, il faudrait aller voir une autre
équipe. Elle me désigne clairement comme responsable de nos échecs :
blocage psychologique ou problème à définir au niveau de l’implantation dans
l’utérus. Etant donné que tous nos résultats sont bons (réactions aux
traitements et qualité des embryons), que seule l’implantation ne se fait pas,
elle est surprise que l’on ne cherche pas à approfondir le diagnostic. Elle
évoque ainsi les mêmes questions que celles que je me prépare à poser au Professeur,
à savoir : pourquoi le transfert a lieu si tôt après la fécondation, soit
deux jours, alors que les embryons ne sont prêts à s’implanter qu’au sixième
jour ? N’y a-t-il pas un moyen de contrôler et influencer les réactions de
mon endomètre pour qu’il soit plus « accueillant » ? Mes trompes
sont elles encore bouchées ? Quels sont véritablement leurs résultats dans
ces techniques ? Je tente d’envoyer un mail à l’association Pauline et
Adrien pour obtenir notamment des renseignements sur les différents centre de
PMA et leur spécialité. Leur adresse ne semble plus valide, je n’arrive pas à
leur envoyer le mail.
27 septembre 2004. Nous
recevons la lettre de la commission de l’hôpital, nous stipulant que nous
sommes autorisés à reprendre un nouveau protocole suite à l’examen de notre
situation. J’ai rendez-vous avec les sages-femmes pour obtenir les ordonnances
et avec l’anesthésiste en prévision de la ponction d’ovocytes. Nous avons
également de nombreux tests à refaire : prise de sang, spermoculture etc.
… La lettre précise que l’on me prévoit une stimulation ovarienne avec un
protocole long. Les sages-femmes m’apprendront que le décapéptyl me sera
injectée en une seule injection intra-musculaire de 3mg et non plus du 0,1 mg
quotidien. J’en suis soulagée. Le traitement sera plus long car ils veulent
laisser agir le décapéptyl quelques jours de plus (lors de la première
tentaive, j’ai en effet été proche de l’hyperstimulation). L’arrêt maladie est
dorénavant de quatre semaines : trop de contraintes avec les employeurs.
Nous avons tout en main et nous pourrons recommencer une nouvelle tentative dès
que nous le souhaitons.
Nous souhaitons nous
accorder encore deux voire trois mois de répit afin de mûrir ces derniers
évènements. En outre nous voulons passer les fêtes de fin d’année sereins,
normalement et en famille loin de ces préoccupations. Mais c’était sans compter
sur notre entrevue avec le Professeur. Comme toujours, lorsque l’on a
l’occasion de s’entretenir avec le Professeur, nous avons eu la réponse à toutes
nos questions. Nous avons parlé de la technique de culture prolongée des
embryons qui n’a pas, selon lui, fait ses preuves : « votre utérus
est à nos yeux un meilleur endroit pour vos embryons comparé à une culture in
vitro. Or le devenir des embryons dépend du milieu dans lequel ils se
trouvent ». Avec notre âge, nos pathologies et réactions aux traitements,
il estime à 55 % notre probabilité de réussite lors de notre première tentative
contre 33% avec une culture prolongée (avec six embryons au départ). Il admet
que l’épaisseur de mon endomètre régulièrement élevée (même si je suis dans les
normes) peut être une difficulté pour l’implantation. Il me délivre alors une
petite ordonnance pour du luteran, une sorte de pilule qui pourrait éviter que
l’épaisseur de mon endomètre soit trop importante. Ce sera le seul traitement, car il souhaite intervenir le moins possible
chirurgicalement et éviter ainsi notamment les adhésions tissulaires. Il nous
propose une nouvelle tentative soit en novembre soit en 2005, le risque étant
que cela ne se fasse pas avant le printemps puisque le centre déménage et
certains conflits internes rendent le calendrier incertain. Finalement notre
choix se fera par le hasard : avec les dés ! Nous étions dans
l’impossibilité de choisir entre une fête de Noël tranquille (sans compter tous
les week-ends déjà en prévision !) et six mois sans rien tenter. Les dés
ont choisi trois fois de suite un traitement en novembre.
D’ici-là je prends
rendez-vous chez un psychothérapeute avec lequel j’ai fait un stage dans le
cadre de mon travail. Cela me permet de faire le point. Je suis convaincue que
notre état psychologique joue un rôle non négligeable, surtout notre
inconscient et je voudrais connaître un peu plus ce que le mien me cache… Nous parlons
très brièvement de ma désociabilisation notamment en présence de femmes
enceintes et de bébés. Je veux comprendre pourquoi je bloque alors que nous
souffrons tant de cette absence et comment mieux vivre ce manque. Il m’incite à
oser exprimer mes sentiments et arrêter de les refouler. Il nous conseille de
ne plus fuir les groupes d’amis ou de famille lorsque nous avons mal mais au
contraire de nous immerger dedans. Il me fait surtout réfléchir sur mon désir
d’enfant, enfant biologique et enfant adopté. En sortant de cet entretien de
deux heures, je n’ai pas l’impression que j’ai appris beaucoup sur moi mais j’ai-je
me perçois différemment. Je vais prévoir une discussion avec mon père comme le
psychothérapeute me l’a recommandée bien que je ne sois pas convaincue de
l’utilité de cette dernière démarche… J’ai acheté un livre qu’il m’a conseillé
concernant des régimes à appliquer selon nos maux. J’essaie de réfléchir un peu
à ce qu’il m’a dit: pourquoi vouloir un enfant ? Pourquoi un enfant
biologique plus qu’un enfant adopté ? Mes motivations ne sont –elles pas
trop tournées vers notre couple plus que pour l’enfant lui-même ?
L’adoption nécessite cinq ans de mariage pour demander l’agrément, neuf mois de
procédure avant son obtention puis enfin plusieurs mois voire années pour
accueillir l’enfant où il faut parfois se battre non plus contre la nature mais
contre les lois, les pratiques. Bref, tout cela nécessite un engagement que
l’on n’entame pas légèrement. Je ne sais pas si je suis capable d’aimer un enfant
qui ne serait pas de nous. Cette triste réalité m’interpelle dans mon projet de
devenir maman : il se cache peut être un déni, un refus. La discussion
avec mon père est plus aisée que je l’imaginais mais n’est en rien un
bouleversement.