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Ventre carré
1 septembre 2004

Chapitre 7 : Trois scénarii

Comment se finira notre quête ? Nous avançons dans notre parcours médical. Le chemin me semble plus facile à suivre. Nous avons nos repères et l’affolement du début fait place à la patience raisonnée que la vie nous impose. Un couple fertile a généralement une chance d’aboutir à une grossesse en environ quatre mois ; pour nous, les quatre tentatives nous prennent au moins un an. Le temps a une autre dimension. Je me rends compte de la chance que mon travail m’a offert de pouvoir suivre ces traitements sans devoir l’abandonner ou tout-au-moins prendre un mi-temps. Nous relativisons nos souffrances. Nous osons enfin élaborer des projets : partir dans les DOM-TOM trois ans, ouvrir des chambres d’hôtes, etc. …. Et nos relations sociales sont plus sereines. Nous ne sommes toujours pas à l’abri de quelques réflexions… Cela nous fait des anecdotes… Nous le prenons avec pragmatisme cependant nous sommes toujours surpris quand cela arrive. La dernière en date vient d’une femme de plus de quatre-vingts ans : «qu’est ce qu’il est beau cet enfant ! Et vous c’est pour quand ? Oh ! Vous êtes encore jeunes… … … Mais si vous n’arriviez pas à en avoir, est ce que vous seriez prêts à adopter ? » demande-t-elle avec un mime de dégoût… avant de rajouter : « Enfin je dis cela, mais je connais quelqu’un qui a adopté deux petites filles tout à fait charmantes, comme quoi ! ». Cédric abasourdi, n’a pas dit un mot de tout le long…

 

 J’imagine trois fins possibles à cette aventure. La première est la plus évidente et la plus souhaitée : être rapidement enceinte. Dans ce cas là, tout semble évident : les trois premiers mois passés, la crainte d’une fausse couche et d’une grossesse extra utérine écartée (les risques sont statistiquement plus grand en FIV), le bonheur sera total. Je n’aurai pas peur d’étouffer cet enfant tant désiré, de trop lui donner.... Nous connaîtrons notre chance mais nous oublierons les épreuves passées qui pourraient amener à ce genre de comportement.

 

 La deuxième serait l’adoption, après un deuil de

la grossesse. Ce

qui est déjà un début difficile. Ma sœur m’a dit un jour, lorsque nous n’avions pas encore découvert mon endométriose : « pourquoi tu ne fais pas appel à un donneur. Moi, à ta place, ça ne me gênerait pas. Si cela peut te permettre des traitements moins lourds.» Les traitements seraient aussi lourds, la question n’est pas là. A la grossesse s’ajoute le mélange de nos sangs. L’adoption nécessite une renonciation à un enfant biologique dans lequel nous nous reconnaîtrons… Je recommence à lire, cette fois sur ce sujet. Cédric n’a pas la même façon de vivre tout cela mais nous réussissons encore à l’accepter sans nous angoisser mutuellement. Alors je bouquine et je mûris mon point de vue sur l’adoption : je suis parfois tentée de me dire qu’adopter serait

la solution. Je

dois bien me rendre à l’évidence qu’adopter ne coule pas de source. L’aventure de l’adoption me paraît aussi difficile que celle des FIV. Comment rendre heureux ces enfants tourmentés par leur abandon ? Sans compter qu’il faut être capable d’aimer et accepter un enfant qui aura son propre passé. Encore un fantastique combat à choisir et qui semble présenter une fin plus prometteuse ! Je suis tentée d’abandonner ces lectures qui me terrorisent et rêver à ce petit être qui nous appellera maman et papa, à cette relation singulière que nous créerons ensemble. Je me sens pourtant loin des personnages du film « Holy Lola » de Bertrand Tavernier. Je tente de me projeter dans les témoins des émissions sur les enfants nés sous X. J’apprends que seuls 3% des enfants cherchent à retrouver leur mère biologique. Un questionnement sur leur origine est pourtant inéluctable. La phrase d’une petite fille de 6 ans « tais –toi, tu n’es pas ma mère » paraît courante et me fait frémir. Pour les parents adoptifs, il est clair que leurs enfants sont vraiment les leurs (sinon ce ne serait pas une adoption réussie), mais leurs enfants se sentent-ils vraiment enfants de leurs parents adoptifs ? Je crois que si nous devions adopter, je préférerais que l’enfant connaisse ses origines au lieu de les imaginer. Je voudrais que mon enfant connaisse son histoire pour qu’il y trouve un équilibre.

 

Enfin la dernière fin possible serait le renoncement à toute descendance. J’aurais fait tout ce que je pouvais pour avoir cet enfant : s’il me faut quatre FIV (nombre initialement prévu par la sécurité sociale) j’irai au bout de ces protocoles même s’il faut que je violente mon corps qui se dégoûte de tous ces traitements. L’échec en incombera totalement à la nature qui n’aurait, dans ce cas, pas cédé. Nous avons des amis qui ne veulent pas d’enfants (et ils le présente comme une décision relativement ferme). Je suis intriguée par ce choix, tout en le respectant, et j’en suis « curieuse ». Je crois que quelque part ça me rassure de me dire que l’on peut y trouver un certain bonheur même si j’ai du mal à considérer longtemps cette option.

 

Que nous réserve la vie ? Cette expérience me fait redécouvrir tout ce que j’ai. Pour rien au monde je donnerais ma place. Nous sommes deux  et c’est déjà beaucoup. Je souhaite faire un maximum de tentatives pendant encore deux, voire trois ans, avant de faire le deuil d’un enfant biologique. Cette échéance m’aide à garder courage. Pour l’instant seul l’enchaînement des traitements pourrait changer notre situation. Ensuite nous pourrons nous tourner vers un nouveau combat si rien n’y fait : celui de l’adoption. La question est de savoir si nous serons assez forts pour endurer toutes ces déceptions : bien que ce ne soit pas la volonté qui nous manque, le moral suivra-t-il suffisamment ? Ne serons-nous pas trop abîmés par ce long combat et cette patience imposée qui est éreintante ? Serons-nous prêts à nous tourner véritablement vers l’adoption ?

Contrairement à l’enthousiasme que j’éprouvais pour entamer notre première FIV, aujourd’hui j’ai peur, peur d’y croire, la chute fait mal. Peur d’échouer par manque de confiance et de foi. Peur de souffrir de mon impatience et de mal vivre cette attente quotidienne : voilà le fond de mon angoisse.

 

Nous avons besoin de repousser le prochain traitement de notre propre initiative afin de reprendre courage et espoir. Cette période de flottement n’est pas très gaie. Nous n’avons pas le moral. Cédric m’avoue se lasser de devoir me porter alors que lui-même ne va pas bien. J’ai l’impression d’être un poids énorme, seule et loin de lui. Mon mariage est le plus important et je ne veux pas le sacrifier dans cette histoire. Nos difficultés sont source de stress pour Cédric sans oublier les trajets professionnels (trois heures trente minutes aller-retour par jour, et sa mutation se fait attendre) qui le fatiguent. Dans un deuxième temps, me voir malheureuse l’affecte beaucoup. Il se sent délaissé dans sa peine, je ne fais pas assez attention à lui et souhaite que je m’oublie davantage pour être plus à son écoute. Je crois qu’il pense faire d’énormes efforts pour moi et voudrait s’assurer que je peux faire la même chose pour lui. Je suis peinée de constater que je l’ai déçue et qu’il se lasse d’être un soutien. C’est parfois difficile de deviner ce que l’autre veut exactement. Notre discussion nous permet de prendre du recul et nous rendre –compte que nous sommes souvent très exigeants avec l’autre sous certains aspects d’autant que nous représentons l’un pour l’autre la seule épaule sur laquelle nous nous reposons dans cette épreuve. Cédric ne souffre pas du manque d’enfant en tant que tel mais en tant que rôle social de parents qu’il engendre. Nous souffrons d’être différents, de ne pas pouvoir nous réjouir et voir notre famille se réjouir pour nous d’une naissance, de ne pas pouvoir partager avec notre entourage ces petits moments de bonheur et de discussion autour du rôle de parent, des ressemblances etc. … Et même si Cédric, comme beaucoup d’hommes, n’exprime pas avec des mots clairement sa douleur, il s’autorise d’avantage désormais à me la montrer par son air mélancolique. C’est en même temps de la tristesse et une grande lassitude qui nous animent : nous avons besoin de changement ! Et de réconfort… Cédric ne supporte plus très bien non plus les cérémonies de mariages ou les réunions de famille ou d’amis où l’on parle bébé, où l’on se souhaite plein de bonnes choses (nouvel an, noël) et où le bonheur des autres nous éclabousse, ce qui nous renferme dans notre peine depuis trois ans. Je crois que j’en suis au même stade. J’ai pu le rassurer comme si rien ne m’atteignait. Tout me glisse dessus, j’en ai tellement marre que je ne percute même plus.

 

Nous remettons tout en question. Après notre soutien et notre façon de vivre les choses, nous sommes amenés à nous interroger sur le CHU lors d’une consultation chez une généraliste. Dans la nécessité d’obtenir un certificat médical en vue d’une inscription à un club de sport, le médecin me demande si je suis sous pilule et nous venons en effet à parler de notre FIV ICSI. Elle se montre sceptique sur l’hôpital de Dijon et me conseille d’emblée de changer de centre… Selon elle, le centre ne veut pas communiquer ses résultats dans ce domaine et puisque nous avons échoué une tentative complète avec eux, il faudrait aller voir une autre équipe. Elle me désigne clairement comme responsable de nos échecs : blocage psychologique ou problème à définir au niveau de l’implantation dans l’utérus. Etant donné que tous nos résultats sont bons (réactions aux traitements et qualité des embryons), que seule l’implantation ne se fait pas, elle est surprise que l’on ne cherche pas à approfondir le diagnostic. Elle évoque ainsi les mêmes questions que celles que je me prépare à poser au Professeur, à savoir : pourquoi le transfert a lieu si tôt après la fécondation, soit deux jours, alors que les embryons ne sont prêts à s’implanter qu’au sixième jour ? N’y a-t-il pas un moyen de contrôler et influencer les réactions de mon endomètre pour qu’il soit plus « accueillant » ? Mes trompes sont elles encore bouchées ? Quels sont véritablement leurs résultats dans ces techniques ? Je tente d’envoyer un mail à l’association Pauline et Adrien pour obtenir notamment des renseignements sur les différents centre de PMA et leur spécialité. Leur adresse ne semble plus valide, je n’arrive pas à leur envoyer le mail.

 

27 septembre 2004. Nous recevons la lettre de la commission de l’hôpital, nous stipulant que nous sommes autorisés à reprendre un nouveau protocole suite à l’examen de notre situation. J’ai rendez-vous avec les sages-femmes pour obtenir les ordonnances et avec l’anesthésiste en prévision de la ponction d’ovocytes. Nous avons également de nombreux tests à refaire : prise de sang, spermoculture etc. … La lettre précise que l’on me prévoit une stimulation ovarienne avec un protocole long. Les sages-femmes m’apprendront que le décapéptyl me sera injectée en une seule injection intra-musculaire de 3mg et non plus du 0,1 mg quotidien. J’en suis soulagée. Le traitement sera plus long car ils veulent laisser agir le décapéptyl quelques jours de plus (lors de la première tentaive, j’ai en effet été proche de l’hyperstimulation). L’arrêt maladie est dorénavant de quatre semaines : trop de contraintes avec les employeurs. Nous avons tout en main et nous pourrons recommencer une nouvelle tentative dès que nous le souhaitons.

 

Nous souhaitons nous accorder encore deux voire trois mois de répit afin de mûrir ces derniers évènements. En outre nous voulons passer les fêtes de fin d’année sereins, normalement et en famille loin de ces préoccupations. Mais c’était sans compter sur notre entrevue avec le Professeur. Comme toujours, lorsque l’on a l’occasion de s’entretenir avec le Professeur, nous avons eu la réponse à toutes nos questions. Nous avons parlé de la technique de culture prolongée des embryons qui n’a pas, selon lui, fait ses preuves : « votre utérus est à nos yeux un meilleur endroit pour vos embryons comparé à une culture in vitro. Or le devenir des embryons dépend du milieu dans lequel ils se trouvent ». Avec notre âge, nos pathologies et réactions aux traitements, il estime à 55 % notre probabilité de réussite lors de notre première tentative contre 33% avec une culture prolongée (avec six embryons au départ). Il admet que l’épaisseur de mon endomètre régulièrement élevée (même si je suis dans les normes) peut être une difficulté pour l’implantation. Il me délivre alors une petite ordonnance pour du luteran, une sorte de pilule qui pourrait éviter que l’épaisseur de mon endomètre soit trop importante. Ce sera le seul traitement,  car il souhaite intervenir le moins possible chirurgicalement et éviter ainsi notamment les adhésions tissulaires. Il nous propose une nouvelle tentative soit en novembre soit en 2005, le risque étant que cela ne se fasse pas avant le printemps puisque le centre déménage et certains conflits internes rendent le calendrier incertain. Finalement notre choix se fera par le hasard : avec les dés ! Nous étions dans l’impossibilité de choisir entre une fête de Noël tranquille (sans compter tous les week-ends déjà en prévision !) et six mois sans rien tenter. Les dés ont choisi trois fois de suite un traitement en novembre.

D’ici-là je prends rendez-vous chez un psychothérapeute avec lequel j’ai fait un stage dans le cadre de mon travail. Cela me permet de faire le point. Je suis convaincue que notre état psychologique joue un rôle non négligeable, surtout notre inconscient et je voudrais connaître un peu plus ce que le mien me cache… Nous parlons très brièvement de ma désociabilisation notamment en présence de femmes enceintes et de bébés. Je veux comprendre pourquoi je bloque alors que nous souffrons tant de cette absence et comment mieux vivre ce manque. Il m’incite à oser exprimer mes sentiments et arrêter de les refouler. Il nous conseille de ne plus fuir les groupes d’amis ou de famille lorsque nous avons mal mais au contraire de nous immerger dedans. Il me fait surtout réfléchir sur mon désir d’enfant, enfant biologique et enfant adopté. En sortant de cet entretien de deux heures, je n’ai pas l’impression que j’ai appris beaucoup sur moi mais j’ai-je me perçois différemment. Je vais prévoir une discussion avec mon père comme le psychothérapeute me l’a recommandée bien que je ne sois pas convaincue de l’utilité de cette dernière démarche… J’ai acheté un livre qu’il m’a conseillé concernant des régimes à appliquer selon nos maux. J’essaie de réfléchir un peu à ce qu’il m’a dit: pourquoi vouloir un enfant ? Pourquoi un enfant biologique plus qu’un enfant adopté ? Mes motivations ne sont –elles pas trop tournées vers notre couple plus que pour l’enfant lui-même ? L’adoption nécessite cinq ans de mariage pour demander l’agrément, neuf mois de procédure avant son obtention puis enfin plusieurs mois voire années pour accueillir l’enfant où il faut parfois se battre non plus contre la nature mais contre les lois, les pratiques. Bref, tout cela nécessite un engagement que l’on n’entame pas légèrement. Je ne sais pas si je suis capable d’aimer un enfant qui ne serait pas de nous. Cette triste réalité m’interpelle dans mon projet de devenir maman : il se cache peut être un déni, un refus. La discussion avec mon père est plus aisée que je l’imaginais mais n’est en rien un bouleversement.

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