Chapitre 6 : TEC (année 2004)
Janvier 2004. Je
pense peu au Transfert d’Embryons Congelés qui nous attend. Je fais le
nécessaire pour qu’il soit possible : téléphoner au centre hospitalier
pour qu’il m’envoie les ordonnances, etc. …. Cependant, je ne l’appréhende pas
de la même façon que la première tentative. J’ai du mal à me remettre
résolument dans une dynamique positive. J’ai l’impression que je suis prête,
que je ne le vivrai pas du tout comme les tentatives précédentes : peut-être de
manière plus détachée, moins angoissée du résultat. Mais c’est difficile à dire
car quand le moment approche, tout change… Quoiqu’il en soit je veux le faire
le plus vite possible. Je ne vois pas ce qu’une éventuelle attente
m’apporterait car je me sens bien maintenant. Je suis réconfortée par les
ordonnances qui ne m’imposent que du gonal-f et non plus de décapéptyl - l’aiguille
de la seringue était plus longue -, le traitement est plus léger (la
stimulation étant plus faible) et ne nécessitera pas d’arrêt de travail. Je
pourrai même continuer à faire du sport. Dans l’ensemble ce sera sûrement plus
facile… Je préfère ne pas connaître les chances de réussite avec des embryons congelés
et y croire. D’ailleurs, pourquoi faire tout cela si ce n’était pas une méthode
fiable ?
Mon cycle dépasse encore les 30 jours. Je ne m’étonne plus de
rien depuis ma cœlioscopie. J’attends patiemment de pouvoir appeler le centre
afin d’avoir la confirmation du début du traitement. Le moment arrivé, une
nouvelle embûche se présente: mon cycle ne colle pas avec le calendrier du
Professeur qui part en vacances. Je ne suis pas vraiment déçue car je sais que
ce n’est que partie remise, mais contrariée car comme d’habitude mes règles ne
tombent pas pour le mieux… J’ai un peu le blues, j’ai tellement peur de ne pas
vite réaliser ce rêve qui semble parfois s’éloigner de nous… Je suis peinée de
ne pouvoir commencer le traitement et pourtant je n’y crois pas tellement. Peut-être
qu’au fond j’attends surtout le moment de recommencer une FIV depuis le début
et non de prolonger l’échec de la première… J’appelle Cédric pour le tenir au
courant ; il semble fataliste « il va bien falloir que l’on se fasse
à l’idée que nous n’avons jamais de chance de ce côté là »… Je l’ai senti
déjà abattu hier et ne me sentant pas moi-même avec un moral d’enfer je ne lui suis pas d’un grand
réconfort…Le temps n’arrange rien en cette fin du mois de février. Le soir
venu, nous discutons. Cédric me dit qu’il sera heureux même sans enfant si moi
je suis heureuse. Pourquoi je ne suis pas comme lui ? Je me suis réveillée
dimanche avec des larmes, il m’a serré dans ses bras et tout allait beaucoup
mieux ! Il est magique cet homme là ! Je sens comme une petit boule
de peur près de mon cœur, toujours présente et qui parfois se rappelle à moi.
Il y a des jours où je me sens prête et d’autres où je mesure à quel point tout
ne dépend pas de nous… Je recommence à tergiverser : cette douleur face à
des femmes enceintes qui ne cesse pas, ces questions sur l’adoption, cette
colère contre la vie et les contraintes d’organisation qu’imposent ces
traitements. Patience…Patience… Il faut être patiente… Je ne suis qu’à ma
première tentative, premier échec. Au bout de cinq tentatives plus de la
moitié des couples ont un enfant – les chances d’être enceinte sont, elles, de
50 % au bout de trois tentatives - . Je sais : cinq tentatives, c’est
beaucoup de FIV mais je me rapproche de
plus en plus de notre réponse à la question : « serais-je enceinte de
mon mari un jour ? ». Mais que c’est long cinq tentatives ! Il
me faudra dix mois pour finir entièrement une FIV – transfert d’embryons
« frais » puis utilisation d’embryons congelés. « Nos »
embryons… Ses mots raisonnent… « Utiliser »… Je manque un peu de
poésie, tout est si médicalisé dans notre cas.
Je me remets à nouveau en cause à chaque nouvelle entrave que nous
rencontrons. Je me dis que nos problèmes ne s’arrêtent pas à nos causes
biologiques (multiples pour nous) mais aussi peut être à un rejet inconscient
de ma part d’être maman… Je prends le droit de me relâcher, être versatile,
avoir des sautes d’humeur. Nous nous sommes fixés un délai plus ou moins précis
pour continuer les tentatives. Passé ce délai, si nous ne sommes pas parents,
nous aviserons sur notre avenir. Néanmoins, de nature impatiente, il me faut
accepter cette attente. Une bonne nuit de sommeil me confirme que ma baisse de
moral n’était que passagère.
Un mois plus tard, il est temps d’appeler à nouveau le centre pour
évoquer à nouveau mon prochain Transfert d’Embryons Congelés (TEC). Le
traitement commencera ce soir. Les premiers jours j’ai la joie de me rendre
compte que je suis capable d’oublier ma piqûre! Je la fais dans un sursaut de
mémoire… Aujourd’hui, j’ai mis ma boîte de gonal-F en évidence dans le salon
pour y penser. Je continue à aller courir, faire du badminton ou du vélo :
adolescente, je n’étais pourtant pas une sportive, mais maintenant j’en ai
besoin. Mis à part deux échographies avec prise de sang qui m’empêchent
d’arriver à l’heure au travail, le traitement passe assez inaperçu. La dernière
fois j’étais très heureuse, finalement, de pouvoir me consacrer à la FIV
entièrement, me reposer etc. Pour mon TEC c’est différent. Le travail et mes
activités m’occupent. Je le vis de manière plus légère en étant détachée ou en
essayant tout du moins ! Ce qui m’aide est certainement de ne pas trop y
croire et que ce traitement n’est pas aussi invasif.
Ce matin-là nous avons pris le temps
en nous prélassant et sans presser le pas. Si bien que nous sommes arrivés
exactement à neuf heures au Centre Hospitalier. La prise de sang a été réalisée rapidement et, dès neuf heure trente,
nous étions sortis avec pour ordre de revenir dès midi avec la vessie pleine au
cas où les résultats seraient bons (sinon nous en aurions profité pour
reprendre des ordonnances). Midi moins le quart, nous sommes au rendez-vous, et
aussitôt nous sommes placés dans une chambre, heureux que les choses se passent
aussi vite. Vers douze heures trente, ma vessie est prête à exploser… Douze
heures et quarante-cinq minutes, ma
voisine et moi-même nous demandons si nous n’avons pas été oubliées… Treize
heures, nos maris cherchent des informations et nous apprennent que le Professeur
S. est introuvable mais que tout est bon pour nous. Nous ferons donc le
transfert même si l’on ne sait pas à quel moment… Premier tour aux toilettes :
j’ai appris à soulager « un peu » ma vessie…. Treize heures trente
minutes, deuxième tour au toilettes… Quatorze heures trente minutes, troisième
tour aux toilettes… Le Professeur S. est toujours introuvable…. Quinze heure
quinze minutes, quatrième tour au toilettes et toujours l’envie désespérée de
faire pipi ! (j’avais bu une bouteille de un litre et demi !!!!)… Quinze
heures quarante-cinq minutes, nos maris, encore partis à la recherche
d’informations, nous réconfortent en nous disant qu’il est arrivé et fait
justement des transferts… C’est bientôt notre tour… Seize heure dix minutes, c’est
enfin mon tour ! Le Professeur S. nous informe que nos deux embryons
décongelés sont de bonne qualité et il nous en restera encore deux.
Déshabillée, je n’ai plus qu’à renfiler mon jean : ma vessie est trop
pleine, il faut que je la vide encore en comptant jusqu’à quarante !!!!
grrr !!!!…
Enfin me revoilà dans la chambre où je
dois attendre une longue heure, allongée, avant de rentrer chez nous, affamés,
n’ayant pas mangé ce midi… Comme ne cessait de le répéter le mari de notre
voisine de chambre : le principal est que le transfert est lieu… Ce n’est
pas lui qui est resté quatre heures avec une vessie pleine !!! Ses
réflexions me permettent d’apprécier d’autant plus la patience de Cédric. Il ne
se plaint pas et pourtant il me porte, ajoutant mon stress au sien. Je me rends
compte à quel point le corps médical ne s’intéresse pas à lui. Tout est centré
sur la femme : « ce n’est pas grave si votre mari ne peut être là, il
suffit d’une lettre de sa part acceptant la décongélation et le
transfert. » A part son sperme en début de FIV, rien de chez lui ne les
intéresse. Il est impuissant devant ces centaines de piqûres que l’on me fait
et absent des rendez-vous matinaux à tel point que l’on a parfois l’impression
de faire un bébé avec le CHU…
Nous rentrons à la maison… avec deux
embryons au chaud, dans mon utérus…Le train –train quotidien reprend. Nous
partons dix jours pour les vacances de Pâques. Nous allons dans le Nord pour un
mariage. La veille nous allons dans le premier laboratoire que nous trouvons
pour faire ma prise de sang : test négatif. Après trois petites larmes
nous passons à autre chose et nous nous préparons à la fête du lendemain. Le
mariage se passe très bien (si ce n'est que le thème du « bébé » est
très abordé dans une célébration de mariage ! Et j’ai vraiment du mal à
rester dans une église). Bref, beaucoup d'émotions et un froid de canard m'ont
bien fatigués d'où un rhume dont je ne sais me défaire. Nous encaissons plus
vite, nous reprenons le dessus même si nous sentons bien que notre douleur est
là, au fond de nous. Nous essayons de profiter du quotidien. Le jour, tout va
bien et je vaque à mes occupations mais quand je me pose pour dormir la nuit
j’ai du mal à trouver le sommeil. La nuit je pense à nos soucis et j’angoisse.
Je cauchemarde : une petite fille me parle et me demande pourquoi nous
l’enfermerons dans mon ventre. Grâce à elle, je me sens enfin une maman mais je
suis triste d’avoir déjà perdu quatre potentiels enfants (embryons) . Je ne
suis pas sûre de pouvoir
la sauver. Quelle
horreur ! Ce qui me réconforte est de
pouvoir recommencer tout de suite, fin mai si tout se passe bien.
Je n’ai pas encore
reçu les nouvelles ordonnances. J’appelle donc le centre. On m’apprend que,
lors du dernier transfert, le Professeur S. a trouvé mon endomètre épais. Je
dois donc les appeler à mon prochain cycle pour faire une échographie six jours
après le début de mes règles, pour vérifier qu’il n’y a rien d’anormal avant
d’envisager un autre TEC. J’espère qu’ils ne vont pas vouloir me refaire une
célioscopie… Peut être me remettront-ils sous énantone ?… Voilà que je
m’inquiète une nouvelle fois !!! Inutilement encore… J’ai besoin de sentir
une échéance. Je m’accroche, je n’ai pas encore trente ans et mon horloge
biologique ne me traumatise pas encore. Ma souffrance n’est pas une souffrance
de privation ou de deuil comme si je me disais que je ne serais jamais maman
(ce sera à nous de choisir l’adoption si besoin est). C’est une souffrance
d’impatience et de frustration. Impatience depuis trois ans de ne pouvoir porter
l’enfant dont nous rêvons, de nous deux ; et privation de ne pas arriver à
quand même profiter de la vie comme je le voudrais, en attendant. Sans compter
que je parle d’adoption mais la question n’est pas aussi simple…
Mon échographie est repoussée :
il n’y a pas de médecins disponibles en ce moment. Je demande quand même plus
d’explications au téléphone. Mon endomètre a
été mesuré à quinze millimètres le jour du dernier transfert alors qu’il était
normal trois jours auparavant. Le Professeur S. souhaite donc vérifier qu’il n’y a rien
d’anormal. L’échographie déterminera si je dois subir une hystéroscopie et un
curetage ou non (qui se font sans anesthésie, ouf !). Si tout va bien nous
en resterons là… Cela pourrait aller jusqu’à une nouvelle intervention, une
opération, s’ils trouvent vraiment des polypes gênants mais a priori j’ose
espérer que ce ne sera pas le cas. Je
stresse à l’idée que nous repoussions l’examen en septembre et de devoir passer
les vacances d’été sans savoir ce qui m’attend: curetage et
hystéro? Quand ? Suivi d’un traitement ou non ? Bref encore une fois nous
nous armons de patience et nous attendons tranquillement d’avoir des réponses,
sachant qu’il n’y a rien de bien grave. Mon échographie se fait finalement en juin, avant l’été : tout va
bien. Je me sens en vacances du point de vue travail et médical. Pas
d’intervention ! Nos vacances d’été se déroulent paisiblement, loin de ces
tourments.
J’ai reçu au courrier
mes nouvelles ordonnances : le traitement est essentiellement le même :
gonal-f. Seul le déclencheur de l’ovulation change : ce sera de
l’ovitrelle que je pourrai m’injecter moi-même en sous cutanée. Je gagne encore
en liberté avec ce Transfert de nos deux derniers Embryons Congelés. Le centre
ferme pendant l’été mais je peux commencer mon traitement si mon cycle démarre
après le 14 Août. Et nous voilà pile le 14 Août lorsque mes
« vilaines » arrivent… Puis-je commencer le traitement ? Le CHU
étant fermé une bonne partie de l’été, mon ordonnance stipule « ne rien
commencer si règles avant le 14/08 ». A priori, c’est bon pour moi. Reste
à débuter les piqûres le lendemain : aïe, ce sera dimanche… Il me semble
que l’on ne commence pas les injections un dimanche afin de ne pas risquer de programmer
un transfert ces jours-là (les transferts ayant lieu à priori exactement quinze
jours après le déclenchement de l’ovulation)… Après discussion avec Cédric et
consultation de la notice du gonal-f, nous décidons de tout décaler d’une journée.
Bêtise ! Dix
jours plus tard, le CHU m’apprend qu’il n’aurait pas fallu prendre une telle
initiative ! Heureusement mes analyses de sang sont bonnes et je peux
poursuivre le traitement. Le transfert a donc lieu comme prévu le 29 août. Je
suis heureuse de pouvoir clore cette première FIV dans sa totalité avant de
reprendre le travail. De plus, nous venons d’apprendre que Cédric a obtenu une
mutation pour janvier et son nouveau poste sera à vingt minutes à pied de la
maison (contre une heure et demie de train et bus jusqu’à présent). Autre bonne
nouvelle : par je ne sais quel miracle, Cédric a accepté de me faire des
piqûres ! J’ai un peu de mal à me les faire. J’ai comme un blocage. J’admire
l’aiguille trois minutes avant de me décider à l’enfoncer dans mon ventre. Je
réussis même à me faire des bleus : je ne sais pas ce qu’il me prend… Lui
qui déteste vraiment ça, me la fait quand il en a l’occasion. J’apprécie d’être
soulagée de cette charge… Encore une fois le traitement est léger et je ne
ressens heureusement rien en comparaison du protocole long des débuts de FIV.
Je vaque donc à mes occupations. Je prends enfin rendez-vous chez
l’ophtalmologiste (pour une visite de contrôle, depuis le temps que je n’en ai
pas eue…) et le dermatologue. Je ne suis pas enthousiaste à l’idée de consulter
encore des blouses blanches (j’en vois assez en temps ordinaire au CHU) mais
Cédric a repéré des tâches d’eczéma dans mon dos. Le stress encore ? J’ai
tendance à tout reporter sur nos traitements…Enfin, certes il n’a pu
m’accompagner cette fois pour ce nouveau TEC, mais je suis détendue car je suis
la seule femme dans la chambre à attendre un transfert. Cette fois-ci je n’ai
pas à attendre quatre heures avec la vessie pleine ! Je suis la seule à
attendre un TEC à midi dans les couloirs du CHU. Il nous reste encore une semaine
avant le grand retour des vacanciers d’été et le Professeur S. a repris son
poste ce matin. Je suis paisible, j’ai prévu de la lecture. Lorsque je suis sur
le fauteuil gynécologique, le professeur S. commence le transfert. Il semble
avoir quelques difficultés, il m’incline davantage. La sage – femme me fait
souffrir en appuyant fortement avec la sonde sur ma vessie pleine. Le silence
règne. Je n’ose demander « quel est le problème ? ». Le
transfert enfin fait, je retourne dans ma chambre soulagée d’avoir nos deux
derniers embryons décongelés dans mon ventre. « Vous êtes notre première
dame à reprendre un transfert en cette rentrée, il faut que ça
marche ! » plaisante une sage-femme… J’aimerais tant… J’anticipe la
suite : rendez-vous est pris avec le professeur afin de faire le point
suite à ce dernier transfert de notre première FIV et je pense déjà à faire une
pause jusqu’en janvier si le résultat venait à être négatif. Je redoute de
devoir reprendre tout depuis zéro : des piqûres quotidiennes, une anesthésie,
trois semaines d’arrêt…
Douze jours plus
tard, je craque. Je sens que ce sera encore un échec : mon ventre me parle
et m’annonce la fin de mon cycle. Je ne supporte plus cette attente, ces
gélules de progestérone à placer dans mon utérus matin et soir alors que tout
est perdu. Je n’en peux plus. La veille du test sanguin, j’ai la confirmation
que c’est encore raté, mon ventre ne m’avait pas menti… Le compte rendu de ma
prise de sang affiche : « béta HCG : <5 UI/ml ». À peine
surprise, je n’en trouve pas moins la vie injuste, et encore une fois, c’est la
colère qui m’anime. Que pouvons-nous faire de plus ?
Encore un mauvais
moment à passer. Il faut continuer. Que faire d’autre ? L’agrément en vue
d’une adoption demande cinq ans de mariage, il nous en manque deux et je veux
encore espérer d’être enceinte. Mais comment ne pas perdre force et joie de
vivre au fur et à mesure que les échecs se cumulent ? Je redoute la
prochaine tentative : nous reprendrons tout depuis le début… Les piqûres
de décapéptyl seront à nouveau de mise, je serai arrêtée trois voire quatre
semaines, anesthésiée pour la ponction, mon ventre me fera souffrir, je devrai
arrêter toute activité et rester chez moi à me reposer, à attendre, encore
attendre… L’artillerie lourde de ce traitement me fera espérer peut être
davantage la réussite et l’implantation de ces embryons frais, mais l’éventuel échec en sera d’autant plus
difficile. J’ai peur de continuer et de sentir l’espoir s’évanouir en
moi : comment réussir dans ces conditions ?