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Ventre carré
1 janvier 2003

Chapitre 2 : La solidarité de nos corps (année 2003)

1er janvier 2003. « Vous partez déjà ?» nous demande-t-on. Difficile d’imposer ses décisions le lendemain de la Saint Sylvestre… Oui nous partons, c’est comme ça un point c’est tout… « Vous êtes toujours les premiers à partir ! ». Que répondre ? Les mots me manquent devant les reproches de cet ami qui ne se doute pas de notre empressement à rentrer chez nous pour être à l’heure à l’examen prescrit le lendemain matin… Ils ne se doutent pas de ce que nous vivons… Nos vacances, nos sorties sont calées sur nos examens médicaux, les résultats, les rendez-vous. Notre âge est un bon point dans cette aventure, l’avantage et l’inconvénient à la fois est de passer inaperçus. On n’imagine pas que notre couple est pris par de telles préoccupations. « Ils sont si jeunes ! Ils ont le temps pour y penser ! ». Les fractures se dessinent : fracture sociale mais aussi psychologique. Le temps a suspendu son vol. Les résultats sont tombés : ma gynécologue nous oriente désormais au CHU, service de la stérilité. Nous prenons rendez-vous pour deux mois plus tard avec Le Professeur J, urologue.

microscope

 

Les solutions médicales

     L’attente dure une heure dans cette petite salle avant que le Professeur J nous reçoive dans son bureau. Il lit attentivement notre dossier et nous explique son avis, calmement et très techniquement. Il ne laisse rien transparaître, nous sommes suspendus à ses lèvres : le problème relevé par le spermocytogramme de Cédric est définitif. Aucun traitement n’existe pour lui. Il est dû à un accident (médicament ou traumatisme) et n’est donc pas héréditaire. Rien à craindre pour notre descendance. Néanmoins, nous avons environ 1% de chance d’avoir un enfant naturellement alors qu’un couple « normal » en a 25% à chaque cycle. Les chiffres nous assomment. Le professeur tient à relativiser : « naturellement c’est possible tout de même ! Etre un couple infertile ne veut pas dire stérile ». Notre recours serait « au minimum l’insémination artificielle intra utérine (IIU) si, Madame, vous ne présentez pas de contre-indications. Cette technique consiste à mettre madame sous traitement : une légère stimulation pour contrôler son ovulation. Ensuite après recueil du sperme de Monsieur et traitement (préparation et tri des spermatozoïdes sains), on place ces spermatozoïdes dans l’utérus de Madame ». Ce qui élèverait nos chances à 10% par cycle. Il faut compter au minimum un an pour faire 6 inséminations à la suite desquelles 50% des couples ont une grossesse. « Sinon ce sera pour vous des Fécondations In Vitro avec micro-injection (FIV-ICSI). A la différence des FIV classiques, les embryons ne se forment pas dans une éprouvette. C’est un laborantin qui sélectionne un spermatozoïde et l’introduit directement dans l’ovule. » Le professeur passe alors aux risques : hyper stimulation et grossesse multiple nécessitant une réduction embryonnaire. Ordonnances pour moi en main, nous sortons abattus…

     Voilà la première période de cette aventure. Je connaissais enfin une cause mais je n’avais pas anticipé la suite : le choc. Je suis anéantie et Cédric culpabilise de me voir ainsi. Tel un cercle infernal, je culpabilise à mon tour car je pense avoir cherché notre malheur. Nous nous rassurons mutuellement. Il faut encaisser. Les jours passent. Petit à petit Cédric exprime sa propre souffrance qu’il vivait auparavant à travers moi. Je n’ose dire « pour » ou « à cause » de moi... Dégoûtés par cette injustice de la nature, notre colère monte. Toute cette boule négative pèse. Je la sens. Je voudrais que ça sorte ! Nous sentons alors le moment venu d’en parler à nos parents. Merci à eux pour leur écoute : au téléphone, j’ai pu déverser toute cette émotion et mettre des mots sur cette peur enfin identifiée, sans abîmer notre couple, et sans que Cédric n’entende tous ces maux. La colère enfin sortie, nous redressons la barre. Nous en parlons calmement avec nos parents, seules personnes avec qui nous partageons cette triste nouvelle. Nous voulons garder cela encore confidentiel et secret, car nous voulons être les seuls à en informer nos proches. Nous voulons tout gérer. Je suis émue de sentir dans un tel moment la force de nos liens. Nous respectons nos souffrances et communiquons alors de plus en plus.

     Notre couple accepte mieux la situation, mais nous ne l’assumons pas encore. Et c’est bien un « nous » que nous formons. Partis de l’état apeurés, perdus et, pour ma part, paniquée, nous réussissons à positiver et surtout relativiser. Sûrs du couple que nous formons, sûrs de ce que nous voulons, nous apprenons que le temps ne joue pas en notre faveur. Plus on se lance tôt dans la Procréation Médicalement Assistée (PMA) plus on a de chances de succès. J’ai 26 ans et les pourcentages de réussites baissent à partir de 30 ans. Nous nous renseignons sur Internet et glanons toutes les informations se rapportant aux Insémination Intra Utérine (IIU). La décision est donc prise : nous savons ce que nous avons à faire et nous fonçons, quitte à fermer les yeux sur les réductions embryonnaires qui me font froid dans le dos. La « réduction embryonnaire » : quelle ironie! Des couples se battent grâce à la médecine pour avoir un enfant et si « malheureusement » cela marche trop bien, on réduit le nombre d’embryons ! Mes convictions personnelles et religieuses tolèrent mal ce point noir du traitement : je le perçois comme une grossesse au prix d’un avortement…Et des triplés ?… Suis-je prête à tous ces risques ? Le monde de la PMA et ses enjeux se dévoilent.

Printemps 2003. J’ai à nouveau rendez-vous chez la radiologue. Nous avons commencé à sympathiser depuis le début de nos recherches. Elle me parle de sa belle-sœur qui vit des choses similaires aux nôtres. Après un test de médicaments (pour voir comment je supporterais les traitements) accompagné de son lot de prises de sang, je dois faire une salpingographie (radio de mon utérus) pour vérifier que mes trompes sont bien perméables. Cet examen peut être douloureux m’a-t-on prévenue… Allongée nue sur la table froide, l’assistant m’apporte une couverture. « Il est plein de délicatesse » me fait remarquer la radiologue. L’examen débute, et il semble y avoir un problème. La radiologue a beaucoup de mal à injecter le produit radioactif et demande de l’aide de son assistant. Je suis écartelée et je ne comprends pas bien ce qu’il se passe. Plusieurs radiographies sont faites sous différents angles mais la doctoresse ne semble pas satisfaite. Ils m’abandonnent dix minutes. J’ai le temps de réaliser les bouleversements de ces derniers mois. Moi, si pudique auparavant, je ne fais maintenant aucunes manières devant ces examens. Je repense à mon critère de sélections dans l’annuaire pour ma première visite chez le gynécologue « je veux une femme ! ». Je veux surtout des personnes compréhensives  ! Et j’ai la chance d’avoir trouvé ces professionnels humains face à des examens toujours plus intrusifs. Les dix minutes se sont largement écoulées lorsque l’on me convie à passer tout de suite une échographie pour affiner le diagnostic… Je suis blasée : que peut-il nous arriver d’autre ? Je sais déjà que ce ne sera pas simple pour avoir un enfant. Alors entre pas simple et compliqué…

     Un nouvel obstacle : mon endomètre est trop épais pour ce stade de mon cycle. Je transmets à Cédric qui s’inquiétait de la longueur de cet examen. « Qu’est-ce que cela veut dire ? ». Nous lisons à deux le rapport : « dystrophie ovarienne », « hyperplasie », « hypertrophie de l’endomètre associé à un polype, mauvais brassage péritonéal », les mots s’entrechoquent et nous les rentrons dans un moteur de recherche sur Internet, seule source d’information chez nous sur ce domaine. Nous y lisons plusieurs articles sur les cancers de l’endomètre (nous ne nous effrayons pas : Internet délivre plus d’informations que nécessaires et il faut garder son calme). Nous relevons tout de même plusieurs phrases « il est impossible en échographie de différencier une hypertrophie bénigne de l’endomètre d’un cancer de l’endomètre ; ce diagnostic différentiel appartient à l’hystéroscopie et à l’histologie », « la pathologie fonctionnelle de l’endomètre, liée à un déséquilibre oestro - progestatif peut être source d’infertilité par impossibilité de nidation de l’œuf. » (l’endomètre étant la paroi de l’utérus où s’accroche l’embryon). Nous retombons en enfance à chaque retour de résultats : même honte face aux mauvaises notes comme à l’école…

     Suite à cet examen, la suite de notre parcours devient à nouveau floue. Je pensais être fixée sur notre sort : je n’ai toujours pas compris que la vie est pleine de surprises… Peut être que notre destin est de ne pas avoir des enfants ! Mais, dans ce cas, quel est le sens de ma vie ? Et si nous nous lancions dans l’humanitaire ? Voyager au bout du monde ? Je me perds dans mes pensées… Le professeur J. m’a demandé d’apporter notre dossier au Professeur S., gynécologue. Ce dernier est souriant. Malgré les mauvaises nouvelles de mes derniers examens, il est rassurant. Il soupçonne effectivement une barrière aux Injections Intra-Utérines mais ne souhaite pas se prononcer de façon trop précoce, et me demande de subir une cœlioscopie / hystéroscopie - curetage et test au bleu, opération sous anesthésie générale pour aller voir de plus près cet utérus et ces trompes… Définir une date est à nouveau tout un programme : l’opération, comme la plupart des examens déjà subis, doit être effectuée à un moment précis de mon cycle menstruel et cela ne colle pas forcément avec l’emploi du temps du professeur…finalement ce sera pour fin Juillet 2003.

     Notre couple se protège, nous nous acceptons et comprenons, soudés. Néanmoins le moral est à zéro. Nous décidons donc de partir en week-end, nous avons besoin de rire et nous défouler : on prévoit restaurants, parc d’animation, etc. … Nous en revenons plus lucides. Les discussions vont bon train. Notre seul sujet de préoccupation est notre état moral : je ne veux pas devenir un poids pour Cédric. J’évoque l’idée de me faire suivre par un psychothérapeute, aider par un acupuncteur, etc. … Bref je cherche des solutions pour pouvoir déverser mon mal lorsque j’en éprouve le besoin sans que ce soit sur Cédric. Je veux apprendre à mieux vivre voire bien vivre la situation pour affronter les difficultés qui nous attendent.

     Encore fragiles aux propos de notre entourage, un coup de fil pourtant plein de bonne volonté réussit à m’écrouler toute une journée : « j’ai appris qu’Anne allait se faire opérer et que cela pourrait résoudre tous vos problèmes, je suis de tout cœur avec vous ! ». La phrase me fait l’effet d’une bombe. Surtout compte tenu du contexte : c’est lors d’une réunion de famille et d’amis (réunions que l’on évite en ce moment), à l’occasion de la fête des mères, que notre cas a été évoqué. Nous nous sentons trahis. Tout d’abord ce pointage du doigt me culpabilise : cette opération est loin d’être un remède, au contraire, elle est censée confirmer des difficultés plus importantes que prévues, difficultés que nous voulons assumer en couple ! Ensuite, nous sommes déçus que notre envie de discrétion ne soit pas respectée. C’est après que cet épisode se soit reproduit un mois plus tard que nous comprenons qu’il est temps d’assumer face à notre famille. Nous en parlons alors aux quelques proches ignorants encore nos « dernières nouvelles »… Dorénavant, frères, sœurs, parents et grand père sont au courant des réelles difficultés que les petits derniers que nous sommes, ont à constituer une cellule familiale.

 

L’opération préalable

Pour ma cœlioscopie, Cédric me suggère de nous faire épauler par ma mère pour me tenir compagnie et m’aider dans le quotidien. J’accepte. L’entrée à l’hôpital se fait d’un ton léger. C’est ma première opération mais je suis rassurée de la simplicité que semble présenter cet acte chirurgical pour le Professeur S. Ma mère et mon mari rient face aux préparatifs qui m’attendent dans ma chambre. J’ouvre la danse en lisant scrupuleusement la notice de ce petit tube tendu par l’infirmière ajoutant malicieusement « le docteur n’apprécierait pas de se rendre compte que le lavement a mal été fait ! ». Hum ! Un lavement ! Je n’y avais naïvement pas pensé ! Je m’exécute derrière la fine paroi qui me sépare de Cédric et de ma mère. « Il faut garder ce truc pendant quinze minutes ! C’est impossible ! », m’exclamai-je en sortant de ce coin toilette. Les rires fusent face à ma position jambes serrées, fesses serrées et visage grimaçant. Je m’allonge de peur de ne pas tenir le choc ! Les secousses liées au fou rire nerveux n’arrangent pas les choses ; je fonce aux toilettes avant les 15mn … De retour, le Professeur S. est dans ma chambre, il prend soin de ne pas me serrer la main : je suis grillée, il sait d’où je reviens… Il me reste le rasage et à avaler ces deux cachets qui vont me shooter et je suis fin prête pour passer au bloc.

     L’après opération est nettement moins drôle. Je me réveille lentement. Le Professeur S. repasse dans ma chambre pour nous expliquer que les Injections Intra Utérines ne seront pas possibles pour nous. Il nous faudra envisager des Fécondations In Vitro – ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection, c’est-à-dire FIV avec micro-injection). Je souffre d’endométriose, maladie de l’endomètre assez fréquente qui me bouche mes trompes. Seuls deux traitements peuvent venir à bout de cette maladie : la grossesse, paradoxalement…, ou la ménopause. Le professeur ajoute que l’évolution de ma maladie n’est pas vraiment prévisible : elle peut nettement s’empirer ou au contraire totalement disparaître. C’est fou : je souhaite être enceinte mais j’ai une maladie qui m’en empêche et il faudrait que je sois enceinte pour guérir ! Le Professeur m’interdit les bains jusqu’à la fin de la cicatrisation, soit durant plus de trois semaines, et me prescrit un mois d’énantone, injection me provoquant une ménopause artificielle. « je vous aurais bien donné trois mois de traitement mais cela nous ferait décaler votre première FIV à l’année prochaine car nous fermons le centre pour les vacances de Noël. Un mois devrait suffire. Rappelez nous lorsque vos règles reviendront, ce qui marquera la fin de l’effet de l’énantone. Nous pourrons alors commencer les traitements pour la FIV. A ce propos, prenez rendez-vous avec les sages-femmes du centre, elles vous expliqueront tout sur ce qui vous attend lors d’une FIV, je vous ai apporté cette plaquette». Est ce le réveil difficile après l’anesthésie ou ces quelques phrases – toujours riches en informations données en un minimum de temps - que je pressentais et que je ne voulais pas entendre ; quoiqu’il en soit les larmes déferlent sur mes joues après le départ du Professeur, paniquée à l’idée d’avoir recours au traitement lourd des FIV. Ma pauvre maman est chamboulée de me voir dans cet état et craque. C’est moi qui la rassure et elle me murmure alors : « quand tu es heureuse, je suis heureuse et quand tu es triste je suis triste avec toi car je suis ta mère », ce à quoi je lui réponds : « ne t’inquiète pas petite maman, on va se battre pour te faire des petits enfants mais pour commencer tu vas me donner des conseils pour vivre au mieux ma ménopause, entre petites vielles il faut que l’on s’aide ! ». « Oui, et ça va marcher parce que vous êtes forts » rétorque-t-elle… Ma mère est là, près de nous et au travers d’elle nous ressentons nos quatre parents. Nous décidons que, dorénavant, nous ne demanderons plus leur présence dans ces épreuves. C’est à nous de le vivre, nous leur en avons trop demandé.

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